2014 a vu une explosion des autorisations d’exportation d’armes vers le Moyen-Orient par les États membres de l’UE. Cette région absorbe désormais le tiers du montant total des licences d’exportations accordées. Les données récemment rendues publiques mettent aussi en évidence le manque de lisibilité des chiffres de certains pays. Il devient dès lors aujourd’hui de plus en plus difficile d’évaluer de manière adéquate les exportations des États membres, ainsi que le respect de leurs engagements nationaux et internationaux en la matière.

Les limites de la transparence

Le rapport sur les exportations d’armes des États membres de l’UE pour 2014, comme les précédents, n’a pu établir le total des livraisons d’armes effectives cette année, puisque sept États n’ont communiqué aucune donnée à ce sujet (Allemagne, Belgique, Danemark, Grèce, Irlande, Pologne et Royaume-Uni)[1]. À noter également que ne sont disponibles en intégralité que les montants des licences octroyées, lesquels peuvent différer sensiblement de la valeur de l’exportation effective.

De plus, les États de l’UE ont la possibilité, lorsqu’ils autorisent des transferts d’armements intra-communautaires, d’octroyer des licences dites générales et des licences dites globales dont la nature empêche de les comptabiliser de la même manière que les licences individuelles[2]. Ces licences générales et globales sont octroyées pour permettre à une entité exportatrice d’effectuer, sans limite de montant ou de quantité et sans devoir demander une autorisation à chaque opération, des transferts d’équipements militaires de différentes catégories bien spécifiées vers un ou plusieurs États membres de l’UE. Par conséquent, il est impossible de connaître exactement le montant et le nombre de transferts d’équipements militaires intra-communautaires. De plus, l’utilisation de ces licences entraîne un manque de visibilité sur les destinations finales du matériel exporté.

Un nouveau boom dans les valeurs des licences

Durant l’année 2014, les 28 États membres de l’UE ont octroyé des licences d’exportation d’équipements militaires d’une valeur de 98 400 451 436 euros, ce qui représente une augmentation de l’ordre de 168 % par rapport à 2013[3].

La France occupe la première place des exportateurs européens d’armements, avec un montant total de licences d’exportations octroyées pour 2014 s’élevant à 73 297 261 874 euros[4]. La Belgique se hisse à la seconde place avec un montant de 4 512 864 349 euros,  un classement qui s’explique essentiellement par l’octroi d’une licence d’exportation de 3,2 milliards d’euros environ accordée pour la production sur dix ans de tourelles de chars à destination des forces armées saoudiennes, dans le cadre de la sous-traitance confiée à Cockerill Maintenance & Ingénierie (CMI) d’un contrat passé entre la firme canadienne General Dynamics et les forces saoudiennes[5]. Enfin, l’Allemagne complète le podium avec un montant de licences d’exportation octroyées atteignant 3 973 800 137 euros.

Les destinations : le Moyen-Orient et les autres

Le Moyen-Orient reste la première destination des exportations européennes, absorbant un peu plus du tiers du montant total des licences octroyées en 2014, contre 20 % environ de celles octroyées en 2013. Ce chiffre ne tient d’ailleurs pas compte de la licence hors-norme octroyée par la Belgique à CMI. S’il est compréhensible que cette licence ait été effectivement octroyée à destination du Canada, en vertu de la position de sous-traitant de CMI pour le compte de General Dynamics, les autorités wallonnes ont toutefois ignoré l’utilisateur final du matériel (l’Arabie saoudite) dans leur choix de comptabiliser cette licence parmi celles attribuées vers le Canada. Le continent asiatique, tiré à la hausse par l’Asie du Nord-Est, occupe la seconde position du classement et absorbe un tiers du montant total des licences d’exportations octroyées par les pays de l’UE en 2014. Le continent européen représente la troisième destination des licences d’exportation des pays membres de l’UE, avec un cinquième du montant total des licences octroyées. Signe de l’importance du commerce intra-communautaire, les pays de l’UE absorbent plus de 75 % du montant des licences d’exportation à destination du continent européen.

Les trois premières régions de destination des licences d’exportation d’armes en 2014

(Source : Rapports du COARM pour 2013 et 2014)

Les trois premiers pays de destination des licences d’exportation sont le Qatar, vers lequel les États membres de l’UE ont octroyé des licences d’un montant total de 11 535 223 353 euros, la Corée du Sud, vers laquelle les États membres ont octroyé des licences d’exportation d’une valeur de 11 184 756 215 euros, et enfin l’Inde, avec un montant total de licences d’exportation octroyées de 7 184 756 215 euros. Ce classement s’explique notamment par le fait que les trois pays ont conclu ou négocié avec la France des contrats d’une valeur de plusieurs milliards d’euros, notamment pour l’acquisition ou le développement d’équipements aéronautiques type avions-ravitailleurs et Rafale[6].

La place de la Belgique : un bond en avant grâce à un seul contrat

Le montant total des licences d’exportation octroyées par la Belgique pour 2014 s’élève à 4 512 864 349 euros, soit une augmentation de 636 % par rapport à l’année précédente, principalement dû à la conclusion du contrat de 3,2 milliards d’euros par CMI pour produire des tourelles de chars destinées à l’Arabie saoudite. Si l’on exclut la licence correspondant à ce contrat, la valeur des licences d’exportation octroyées par la Belgique à destination de Riyad en 2014 atteint 397 525 695 euros.

Enfin, les licences d’exportation octroyées par la Belgique pour des ALPC et leurs munitions atteignent 835 369 130 euros, et représentent environ 8,3 % du montant des licences octroyées par l’ensemble des États membres de l’UE pour ce type d’armements en 2014, soit quasiment la même proportion qu’en 2013.

Zoom sur les ALPC et leurs munitions[7]

Le montant total des licences octroyées pour des armes légères et de petit calibre (ALPC) et leurs munitions en 2014 a plus que doublé – en valeur absolue – par rapport à 2013 : il s’établit à 10 037 158 415 euros.

Les trois premières régions de destination des licences d’exportation d’ALPC et de leurs munitions restent les mêmes qu’en 2013. L’Union européenne figure en première position : la valeur des licences d’exportation d’ALPC et de leurs munitions a plus que quadruplé par rapport à 2013, et atteint 3 337 168 748 euros. Le Moyen-Orient, au premier rang duquel les pays membres du Conseil de coopération du Golfe, occupe la seconde place et absorbe près du tiers du montant des licences d’exportations d’ALPC et de leurs munitions octroyées, soit 2 832 078 286 euros. Enfin, l’Amérique du Nord occupe la troisième place : la valeur associée aux licences d’exportations d’ALPC et de leurs munitions octroyées à destination de ce continent est de 1 986 797 709 euros. Ces licences sont probablement destinées à la fois aux autorités publiques et à l’important marché civil des États-Unis.

L’Arabie saoudite, engagée dans une guerre contre les combattants houthistes au Yémen, est le premier pays de destination des licences d’exportations d’ALPC et de leurs munitions en 2014, dont le montant total représente 1 842 318 375 euros. Ce chiffre a été multiplié par près de cinq par rapport à 2013, où il s’établissait à moins de 400 millions d’euros.

Les trois premiers pays importateurs d’ALPC et de leurs munitions en 2014

(Source : Rapport du COARM pour 2014)

La France occupe la première position des pays exportateurs d’ALPC et de leurs munitions en 2014, avec des licences octroyées d’une valeur de 4 862 430 037 euros, soit un chiffre multiplié par plus de dix par rapport à 2013. Ce montant s’explique notamment par les licences octroyées à destination de l’Arabie saoudite, qui représentent une valeur de
1 043 550 035 euros en 2014. La Belgique, qui se situe en seconde position, voit également le montant total des licences octroyées pour des ALPC et leurs munitions plus que doubler par rapport à 2013, pour atteindre 835 369 130 euros.

Les trois premiers pays exportateurs d’ALPC et de leurs munitions en 2014

(Source : Rapport du COARM pour 2014)

L’auteur

Léo Géhin est chargé de recherche au GRIP. Ses travaux portent notamment sur les questions liées au contrôle des transferts d’armements de l’Union européenne et sur les instruments de contrôle des armes légères et de petit calibre.

Crédit photo : Salon de l’armement terrestre Eurosatory à Paris (source : B. Vokar/GRIP 2014)

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pdf Union européenne: plus d’exportations d’armes, moins de transparence?


[1]. Secrétariat général du Conseil de l’UE, 17th Annual Report according to article 8(2) of Council Common Position 2008/944/CFSP defining Common Rules Governing Control of Exports of Military Technology and Equipment, 4 mars 2016, p. 3.

[2]. Voir Seniora Jihan, « Transferts intra-communautaires des produits liés à la défense : un an de mise en œuvre de la directive », Note d’Analyse du GRIP, 25 juin 2013, Bruxelles.

[3]. Le montant des licences octroyées par certains pays doit cependant être pris avec précaution. En juin 2014, la France a ainsi réformé son système d’octroi de licences, passant d’un modèle où deux autorisations devaient être obtenues par l’entité exportatrice (un accord préalable puis une autorisation d’exportation) à un système d’octroi d’une licence unique. Par conséquent, les montants associés aux accords préalables et aux autorisations d’exportation octroyées avant la réforme ont été additionnés en une somme unique lors du reporting, contribuant à gonfler la valeur totale des licences françaises dans le rapport annuel de l’UE. Voir 17th Annual Report…, op. cit., p. 2.

[4]. La valeur très élevée des licences d’exportation françaises s’explique également par le fait que depuis juin 2014, les licences sont octroyées dès la phase de prospection des industriels, ce qui les a incité à solliciter des licences pour des montants très élevés afin de ne pas avoir à relancer une demande si la commande finale dépassait le montant de la licence accordée lors de la prospection. Correspondance avec un représentant du COARM, 23 mars 2016.

[5]. Géhin Léo, « Les transferts d’armements de la Région wallonne en 2014 : Synthèse du rapport annuel », Éclairage du GRIP, 11 décembre 2015, Bruxelles.

[7]. Les ALPC sont principalement regroupées dans les trois premières catégories de la Liste commune des équipements militaires de l’Union européenne : armes à canon lisse d’un calibre inférieur à 20 mm, armes automatiques d’un calibre inférieur ou égal à 12 mm et leurs composants (ML1), armes à canon lisse d’un calibre supérieur à 20 mm, armes automatiques d’un calibre supérieur à 12 mm et leurs composants (ML2), munitions et leurs composants (ML3).