Le Traité des Nations unies sur le commerce des armes (TCA), adopté le 2 avril 2013 et entré en vigueur le 24 décembre 2014, a pour objet de réglementer le commerce licite des armes et de lutter contre les trafics de ce type de biens. Les États qui ont signé ou ratifié le TCA se réunissent chaque année afin de faire le point sur sa mise en œuvre. Lors de la dernière édition de cette rencontre, la Huitième Conférence des États parties (CEP), qui s’est tenue à Genève du 22 au 26 août 2022, plusieurs thématiques ont été abordées. Parmi celles-ci : l’universalisation, c’est-à-dire « l’élargissement de l’adhésion au traité afin que ce dernier regroupe le plus grand nombre d’États[1]».

À cette date, 112 États ont ratifié le TCA[2] — c’est-à-dire qu’ils sont pleinement tenus par les obligations qu’il énonce. Vingt-neuf États ont signé le Traité sans l’avoir encore ratifié. C’est le cas de grands exportateurs, comme les États-Unis et Israël ainsi que de pays dont l’industrie de la défense connait une forte croissance, comme la Turquie et les Émirats arabes unis[3]. Enfin 54 pays n’ont ni signé ni ratifié le TCA. On peut citer la Russie (2e exportateur mondial après les États-Unis) et l’Inde, dont les exportations de matériel militaire auraient été multipliées par six depuis 2014[4].

Ne pas être partie au traité ne signifie pas pour autant que ces pays n’ont aucune obligation en matière de transferts responsable d’armes. Celles-ci découlent soit de la Charte des Nations unies, soit du droit international général. Cet éclairage revient sur trois d’entre elles : le respect des embargos décrétés par le Conseil de sécurité ; le principe de non-intervention et la fourniture d’armes aux acteurs non étatiques ; et le devoir de ne pas prêter aide ou assistance à la commission de violations graves du droit international.

Le respect des embargos décrétés par le Conseil de sécurité des Nations unies

Un embargo est une mesure de contrainte, généralement prise à l’encontre d’un État, visant à interdire ou restreindre l’exportation de certaines marchandises[5]. Il s’agit d’une sanction de nature économique pouvant porter sur différents types de biens — pétrole, gaz, acier, médicaments, denrées alimentaires, etc. — voire plusieurs d’entre eux. Les embargos sur les armes, comme leur nom l’indique, peuvent porter sur un ou plusieurs types d’armements, de matériels militaires et/ou de services connexes — armes dites « conventionnelles », biens à double usage, matériel nucléaire, réparation et entretien du matériel, etc. Ils ont le plus souvent pour objectif d’éviter la prolifération d’armes dans un pays ou une région affectée par des conflits afin de saper la capacité des belligérants à poursuivre les hostilités, ou d’empêcher un gouvernement de développer des armes de destruction massive.

Un embargo peut être décrété par divers types d’acteurs :

  • Par un ou plusieurs États de manière unilatérale, auquel cas seuls ces pays sont tenus de respecter les mesures qu’ils ont souverainement adoptées ;
  • Par une organisation régionale (Union européenne, Union africaine, Ligue des États arabes, Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, etc.), dans ce cas tous les pays membres de cette organisation doivent se conformer aux restrictions sur les exportations ; ou
  • Par les Nations unies, situation dans laquelle tous les États membres de l’organisation (soit 193 États actuellement) sont obligés de respecter l’embargo.

Vingt-cinq embargos sur les armes sont actuellement en vigueur. Parmi ceux-ci, quatorze sont des embargos onusiens, c’est-à-dire décrétés par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies (voir tableau 1 ci-dessous). Au sein des Nations unies, le Conseil de sécurité est en effet l’organe principal ayant la responsabilité de veiller au maintien de la paix et de la sécurité internationales[6]. À ce titre, il est le seul à pouvoir adopter des mesures contraignantes qui seront obligatoires pour l’ensemble des pays membres de l’organisation[7]. Les embargos sont adoptés sur la base de l’article 41 de la Charte, lequel prévoit que, en cas de menace à la paix et à la sécurité internationale, « le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions ».

Lorsqu’un embargo est décrété par les Nations unies, un comité de contrôle — appelé « Comité de sanctions » — est mis en place afin de surveiller sa bonne application. Les prérogatives des Comités de sanctions peuvent varier en fonction de l’embargo et de la situation. Toutefois, ils ont généralement pour tâche d’évaluer l’efficacité de la mesure et de faire des recommandations afin d’en améliorer la mise en œuvre. Dans ce cadre, ils ont également le pouvoir de pointer du doigt les États qui ne se conforment pas aux mesures d’embargo. Puisque les décisions du Conseil de sécurité doivent être respectées par l’ensemble des membres des Nations unies, continuer à fournir des armes à un pays et/ou un acteur placé sous embargo onusien constitue une violation du droit international. Cette violation pourra, à son tour, donner lieu à des sanctions contre l’État récalcitrant.

Tableau 1. Embargos onusiens sur les armes (ordre chronologique) 

Année Pays Entité(s) visées Matériel(s) visé(s) Étendue territoriale
1990 Iraq 1990-2004 : gouvernement et groupes non étatiques AC Ensemble du territoire
Depuis 2003 : groupes non étatiques
1992 Somalie 1992-2001 : gouvernement et groupes non étatiques AC Ensemble du territoire
Depuis 2001 : groupes non étatiques
1996 Afghanistan 1996-2002 :  gouvernement talibans et individus ou entités associés AC 1996-2000 : ensemble du territoire
Depuis 2002 : groupes non étatiques 2000-2002 : territoire contrôlé par les Talibans
Depuis 2002 : ensemble du territoire
2003 République démocratique du Congo 2003-2008 : gouvernement et groupes non étatiques AC Ensemble du territoire
Depuis 2008 : groupes non étatiques
2004 Soudan 2004-2005 : groupes non étatiques AC Limité à la région du Darfour
Depuis 2005 : gouvernement et groupes non étatiques
2006 Liban Groupes non étatiques AC Ensemble du territoire
2006 Corée du Nord Gouvernement AC Ensemble du territoire
NU
BDU
2011 / Al Qaïda et groupes associés AC Ensemble des pays et régions où ces groupes sont implanté
2011 Libye Fév. à sept. 2011 : Gouvernement AC Ensemble du territoire
Depuis 16 sept. 2011 : groupes non étatiques
2013 République centre africaine Gouvernement et groupes non étatiques AC Ensemble du territoire
2014 / État islamique et groupes associés AC Ensemble des pays et régions où ces groupes sont implantés
2015 Yémen Groupes non étatiques AC Ensemble du territoire
2018 Soudan du Sud Gouvernement et groupes non étatiques AC Ensemble du territoire

Source. GRIP, 2022, d’après la base de données sur les embargos du GRIP.

Comme le tableau 1 le montre, la portée des embargos peut également varier. Il est donc nécessaire de lire attentivement les résolutions du Conseil de sécurité qui les établissent ou les reconduisent afin de cerner l’étendue exacte des obligations des États en matière de transfert et d’exportation d’armes. Les embargos sur les armes sont rarement totaux et peuvent évoluer dans le temps — leur portée varie principalement autour de trois axes :

  • Le ou les entité(s) visée(s) : un embargo peut viser un gouvernement, des acteurs non étatiques (groupes armés), ou les deux. L’embargo sur les armes à destination de la République démocratique du Congo décrété en 2003, par exemple, concernait tant les autorités publiques que les groupes armés non étatiques actifs sur le territoire de la RDC[8]. En 2008, il a été modifié afin d’autoriser la fourniture de matériel militaire aux autorités congolaises. L’objectif était de permettre aux forces de sécurité étatique d’assurer la sécurité sur le territoire.
  • Le ou les matériel(s) et service(s) visé(s) : le matériel et les services connexes placés sous embargo peuvent également fluctuer (armes classiques de manière générale, armes légères et de petit calibre, armes lourdes, pièces de rechange, véhicules, biens à double usage, missiles, formation, conseils, etc.). L’embargo le plus complet qui existe pour l’instant est probablement celui imposé sur la Corée du Nord depuis 2006. Il couvre tant les armes conventionnelles, que les matières, équipements et technologies nucléaires, en passant par les biens à double usage (c’est-à-dire des biens civils pouvant recevoir une application militaire)[9].
  • La portée « géographique » : les embargos peuvent également avoir une portée géographique plus ou moins étendue. Ils peuvent s’appliquer à l’ensemble du territoire d’un pays, à une partie de celui-ci uniquement, voire au territoire de plusieurs États. Les embargos décrétés contre des organisations comme Al-Qaïda et l’État islamique, par exemple, s’appliquent, peu importe où celles-ci se trouvent, c’est-à-dire sans limitation de nature géographique. Par contraste, l’embargo sur le Soudan, mis en place par la Résolution 1556 (2004), ne concerne que la région du Darfour (à l’ouest du pays)[10].

La non-intervention et la fourniture d’armes aux acteurs non étatiques

Le principe de non-intervention, conséquence du principe de l’égalité souveraine des États, est une des règles cardinales de l’ordre juridique international. En vertu de ce principe, les États doivent s’abstenir de s’immiscer dans les affaires internes des autres pays[11]. De nombreuses ambiguïtés entourent ce principe, dont les États sont très prompts à dénoncer la soi-disant violation. Une chose est néanmoins certaine : fournir des armes à des groupes armés non étatiques actifs sur le territoire d’un autre État va à l’encontre de cette règle. Le principe 3 de la résolution 2625 précise en effet que

« Tous les États doivent aussi s’abstenir d’organiser, d’aider, de fomenter, de financer, d’encourager ou de tolérer des activités armées subversives ou terroristes destinées à changer par la violence le régime d’un autre État ainsi que d’intervenir dans les luttes intestines d’un autre État. »

C’est notamment sur cette base que les États-Unis ont été condamnés par la Cour internationale de Justice (CIJ) dans le cadre de l’Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci en 1986. Cette affaire portait sur le soutien octroyé aux milices Contras par Washington — singulièrement sous la forme d’armes (fusils FAL, AK-47, mortiers), de munitions, véhicules militaires, de radios et autres équipements militaires —, afin de renverser le gouvernement sandiniste au pouvoir depuis 1979. La Cour a considéré que :

« L’appui fourni par les États-Unis […] aux activités militaires et paramilitaires des Contras au Nicaragua, sous forme […] de fourniture d’armes […], constitue une violation indubitable du principe de non-intervention[12]. »

Le principe de non-intervention a pour corollaire un devoir de neutralité à l’égard de conflits internes qui secouent des pays tiers[13]. Fournir des armes à l’une des parties belligérantes revient, en effet, à s’immiscer dans le conflit en tentant d’influencer son issue. Ce point a été clairement rappelé en 1975 par l’Institut de droit international (IDI) — la plus importante association professionnelle regroupant les juristes de droit international les plus réputés et respectés[14]. L’IDI indique alors qu’en cas de guerre civile, les États tiers « s’abstiendront notamment de : […] c) fournir des armes, ou autres matériels de guerre[15] ». Cette obligation s’applique tant en ce qui concerne le pouvoir en place que les forces rebelles — on parle d’« égalité négative » entre les adversaires.

Encadré 1. Différencier troubles internes et guerre civile

Deux critères généraux permettent de différencier une situation de troubles internes et une véritable guerre civile :

·       L’existence d’hostilités armées d’une intensité suffisante ;

·       La présence d’un ou plusieurs groupes armés possédant une structure et une chaîne de commandement claire.

Ces critères ont été consacrés et clarifiés par la jurisprudence internationale, notamment au travers des décisions du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Il ressort de la pratique de ces tribunaux que les hostilités doivent avoir atteint un niveau d’intensité analogue à celui d’un conflit armé international, c’est-à-dire opposant des armées régulières. Il n’existe pas de critère précis et/ou chiffré, par exemple, en ce qui concerne le type d’armement employé ou le nombre de victimes. L’appréciation doit se faire au cas par cas, en tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce. Déterminer quand et pourquoi une situation de désordre intérieur dégénère en guerre civile reste donc une question d’interprétation.

 La majorité des juristes considèrent en revanche que tant que la contestation n’a pas atteint le seuil nécessaire pour être qualifiée de guerre civile (voir encadré), le gouvernement a le droit de demander et de recevoir de l’aide pour restaurer l’ordre sur son territoire. Ainsi, dans ce type de situation, le droit admet une certaine « asymétrie » entre gouvernement et opposition ou forces rebelles.

Cependant, il est souvent difficile de déterminer avec précision à quel moment des troubles internes se transforment en véritable guerre civile. Une difficulté supplémentaire peut s’ajouter : la concurrence de gouvernements. Dans une situation de désordre interne, il n’est de fait pas rare que plusieurs groupements politiques se revendiquent comme étant le gouvernement du pays, c’est-à-dire le représentant légal et légitime de la population. La question se pose alors de savoir s’il suffit pour un État de reconnaître tel ou tel autre groupement ou force politique comme gouvernement pour prétendre pouvoir légalement lui fournir des armes et/ou du matériel militaire. La question est loin d’être théorique : l’argument a notamment été utilisé par plusieurs pays occidentaux pour justifier l’octroi d’une « assistance militaire non létale », et finalement d’armes, au Conseil national syrien (CNS) avant que la situation en Syrie ne soit véritablement considérée comme une guerre civile[16].

Toutefois, reconnaître un groupement politique ou une force rebelle comme gouvernement alors que celle-ci ne bénéficie pas d’une large reconnaissance internationale et n’exerce pas effectivement son autorité sur le territoire qu’elle prétend gouverner est problématique. Une telle reconnaissance équivaut, en effet, à une autre violation du principe de non-intervention[17]. Ce point a été rappelé fermement par le service d’étude du Parlement allemand en lien avec la crise présidentielle au Venezuela en 2019 (voir encadré 2)[18].

Encadré 2. La crise présidentielle au Venezuela en 2019

Dans le contexte de manifestations à la suite de la réélection de Nicolas Maduro comme président du Venezuela en mai 2018, le leader de l’opposition et président de l’Assemblée nationale, Juan Guaidó, entame des consultations en vue de former un gouvernement et s’autoproclame président par intérim du Venezuela le 23 janvier 2019. Il est rapidement reconnu comme tel par la majorité des pays occidentaux, dont l’Allemagne.

À la demande des députés allemands, le service d’étude du Bundestag est invité à se prononcer sur la question. Celui-ci conclut qu’« à la lumière du principe de non-intervention dans les affaires intérieures des autres pays, cela semble tout aussi discutable en termes de droit international que la reconnaissance prématurée en tant que président intérimaire d’un membre de l’opposition qui n’a pas encore effectivement consolidé sa position dans la structure du pouvoir d’un État. »

 

Ne pas prêter aide ou assistance à des violations graves du droit international

L’expression « violations graves de droit international » est utilisée pour se référer à la violation de règles considérées comme faisant partie du jus cogens, aussi appelé « droit impératif ». Il s’agit de règles jugées tellement fondamentales qu’il ne peut jamais y être dérogé[19]. Il n’existe pas de liste exhaustive des normes entrant dans cette catégorie. Certaines font néanmoins l’objet d’un certain accord, notamment : la non-intervention (en ce compris l’interdiction du recours à la force) ; le droit à l’autodétermination des peuples ; l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants ; l’interdiction de l’esclavage. Le droit international humanitaire — corps de règles qui s’appliquent dans le cadre des conflits armés et régissent la conduite des hostilités — en fait également partie. Ainsi, des crimes comme le génocide, l’agression, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre sont tous considérés comme constituant des violations graves du droit international[20].

Le droit international prévoit que les États ne peuvent prêter aide ou assistance à la commission de telles violations. Ce principe trouve sa source et s’exprime au travers de plusieurs règles et/ou notions, en particulier :

  • La notion de complicité: La notion de complicité se retrouve à l’article 16 du Projet d’articles sur la responsabilité internationale des États. Un État qui commet une violation du droit international est considéré comme responsable de celle-ci, ce qui peut entraîner des obligations de réparations à l’égard du pays et/ou des individus qui en sont victimes. En vertu de l’article 16 de ce projet d’article, un État est également considéré comme responsable d’une violation du droit international lorsqu’il se rend complice de celle-ci. La notion de complicité suppose toutefois que les autorités aient agi « en connaissance des circonstances[21]». Elle requiert donc la présence d’une intention spécifique : celle de faciliter la violation, voire le crime[22].

Appliqué au commerce des armes, cela signifie toutefois qu’il faudrait pouvoir établir qu’en autorisant la vente de matériel militaire, l’État exportateur entendait sciemment aider l’importateur à commettre de graves violations du droit international (génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerres, agression, annexion, etc.) avec ces armes.

  • L’obligation de respecter et faire respecter le droit international humanitaire: cette obligation est énoncée à l’article 1er commun des Conventions de Genève de 1949. La portée de cette disposition est néanmoins limitée aux violations du droit international humanitaire, soit essentiellement aux crimes de guerre. En d’autres termes, les violations graves du droit international qui ne sont pas commises dans le cadre d’un conflit armé (international ou non international) ne tombent pas dans le champ d’application de cette disposition.

Concernant les exportations d’armes, les juristes s’accordent pour dire qu’il n’y a pas de doute sur le fait que l’article 1er commun des Conventions de Genève interdit la fourniture de matériel militaire à des entités (étatiques ou non) qui commettent des crimes de guerre[23]. C’est notamment sur cette base que les ventes d’armes à des États comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis — dont l’usage indiscriminé de la force au Yémen a déjà fait l’objet de nombreuses dénonciations[24] — ne devraient pas autorisées.

  • L’obligation de ne pas prêter aide ou assistance à une violation du droit impératif: cette obligation, qui se retrouve à l’article 41 § 2 du Projet d’articles sur la responsabilité internationale des États, recoupe partiellement les deux principes évoqués précédemment. Elle est néanmoins plus large et « inclusive » puisqu’elle s’applique à toutes violations graves du droit international, ne requiert pas l’existence d’une intention spécifique de faciliter la violation, et vise la commission d’une violation d’une règle de droit impératif aussi bien que le maintien d’une situation résultant de cette violation.

Ce principe a déjà trouvé des applications concrètes en matière de commerce et de transfert d’armement, par exemple en lien avec le maintien de l’occupation coloniale portugaise en Afrique jusqu’au milieu des années 1970[25] ou du régime d’apartheid en Afrique du Sud jusqu’en 1991[26]. Aujourd’hui, plusieurs situations devraient tomber sous le coup de cette même obligation. Peuvent être mentionnés : l’occupation, l’annexion et la colonisation des territoires palestiniens par Israël[27] ; l’occupation du Sahara occidental par le Maroc en contradiction avec le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui[28] ; l’établissement de la République de Chypre Nord à la suite de l’intervention de la Turquie en violation du principe de non-recours à la force[29] ; l’annexion de la Crimée et l’occupation de certains territoires de l’est de l’Ukraine par la Russie depuis 2014 ; la réduction en esclavage des populations ouïghoures en Chine.

Conclusion : la plus-value du Traité sur le commerce des armes

Il ressort de ce qui précède que les États ont des obligations en matière d’exportation et de transfert d’armement même lorsqu’ils ne sont pas parties au Traité des Nations unies sur le commerce des armes. Ils doivent, notamment, respecter les mesures d’embargo décrétées par les organisations dont ils sont membres, ne peuvent fournir des armes à des acteurs non étatiques au risque de violer le principe de non-intervention et ont également le devoir de ne pas prêter aide ou assistance à la commission de violations graves du droit international. Ces trois principes doivent (ou devraient) guider leurs politiques d’exportation de matériel militaire de l’ensemble de la communauté internationale.

À cet égard d’ailleurs, les obligations que les pays acceptent en devenant partie au TCA diffèrent peu des obligations qu’ils ont déjà au regard de la Charte des Nations unies et/ou du droit international général. Au titre de l’article 6 du Traité, par exemple, les exportations et transferts d’armes sont interdits lorsqu’il existe un embargo du Conseil de sécurité des Nations unies et lorsque l’État exportateur a connaissance du fait que ces armes pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949. De ce point de vue, les interdictions énoncées dans le TCA réitèrent essentiellement celles qui prévalent déjà en dehors du Traité et les obligations des États parties et non parties sont fondamentalement similaires.

Cela étant dit, le TCA a une portée beaucoup plus large : il n’énonce pas uniquement les circonstances dans lesquelles une exportation ou un transfert doit être interdit, mais prévoit également de nombreuses autres obligations.

À titre d’illustration, l’article 12 du TCA demande aux États parties de tenir des registres nationaux d’exportation et d’importation renseignant la quantité, le modèle et la valeur des armes. Ces registres permettent d’assurer une certaine traçabilité des armes et ainsi de mieux lutter contre les trafics illicites et les détournements. Cette obligation, en outre, ne s’adresse pas uniquement aux États exportateurs, mais également aux importateurs. Le TCA requiert également de ces membres qu’ils remettent des rapports annuels sur les mesures qu’ils ont prises pour la mise en œuvre du Traité et pour endiguer les phénomènes de détournements[30]. Le Traité établit, en somme, un cadre général qui va bien au-delà de la simple énonciation d’interdiction.

Ce n’est, par ailleurs, pas la seule plus-value du Traité. Les mécanismes qu’il met en place afin d’assurer une meilleure communication entre les États parties, tout comme la création d’un secrétariat permanent chargé de vérifier la mise en œuvre du Traité et la tenue annuelle des CEP, sont importants à plusieurs égards. Ils constituent un forum d’échange qui permet la mise en place d’actions et d’approche coordonnées afin de mieux répondre aux problèmes de trafics et de détournements, ainsi que de s’assurer que ces questions soient régulièrement mises à l’agenda international. Enfin, en regroupant et énonçant dans un texte unique les obligations qui incombent aux États en matière de commerce responsable des armes, le TCA assure une meilleure lisibilité du droit. Or, un droit plus lisible, c’est aussi un droit qui a plus de chances d’être (correctement) appliqué et de faire l’objet de sanctions lorsque tel n’est pas le cas. Ces éléments justifient que l’universalisation soit et reste une priorité.

Auteure : Agatha Verdebout est chercheuse au GRIP au sein du pôle « Armement et désarmement ». Elle est titulaire d’un Doctorat en droit international public (ULB).

[1]. CAMELLO Maria, « Traité sur le commerce des armes : inventaire des enjeux prioritaires de l’ouverture aux amendements », Note d’analyse du GRIP, 15 juillet 2022, p. 3.

[2]. Le Gabon est devenu le 112e États partie au TCA le 21 septembre 2022.

[3]. Voir BÉRAUD-SUDREAU Lucie et al., « Emerging Suppliers in the Global Arms Trade », SIPRI Insights on Peace and Security, n° 2020/13, décembre 2020.

[4]. « India’s arms exports grows nearly 6x since 2014: Govt », The Economic Times, 26 mars 2022. Sur ce sujet voir JOMIER Solène, « Inde : moyens et risques associés à ses ambitions militaires », Note d’analyse du GRIP, 12 mai 2021.

[5]. République française, Vie publique, « Qu’est-ce qu’un embargo ? », 14 juin 2022.

[6]. Charte des Nations unies, adoptée le 26 juin 1945, entrée en vigueur le 24 octobre 1945, art. 39.

[7]. Ibid., art. 25.

[8]. Conseil de sécurité des Nations unies, Résolution 1807 (2008), 31 mars 2008, § 1, p. 2-3. Ces mesures ont été reconduites par la Résolution 2293 (2016) du 23 juin 2016, § 1, p. 5.

[9]. Conseil de sécurité des Nations unies, Résolution 1718 (2006), 13 décembre 2016, § 8 a), p. 2-3.

[10]. Conseil de sécurité des Nations unies, Résolution 1556 (2004), 30 juillet 2004, § 7, p. 4.

[11]. Charte des Nations unies, art. 2 § 7 ; Assemblée générale des Nations unies, Résolution 2625 (XXV), 24 octobre 1970.

[12]. CIJ, Affaires des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, Arrêt du 27 juin 1984, § 242, p. 124.

[13]. À ce sujet voir notamment Corten Olivier, La rébellion et le droit international : le principe de neutralité en tension, Collection : Les livres de poche de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 28, Brill, 2015.

[14]. Pour plus d’information consulter le site internet de l’Institut de droit international.

[15]. IDI, « Le principe de non-intervention dans les guerres civiles », Session de Wiesbaden, 1975, art. 2, § 2, c).

[16]. Au sujet des fourniture d’armes à l’opposition syrienne du point de vue du droit international voir notamment DE GROOF Mélanie, « Arms Transfers to the Syrian Arab Republic : Practice and Legality », Les Rapports du GRIP, 2013/9 ; RUYS Tom, « Of Arms, Funding and ‘Non-lethal Assistance’ – Issues Surrounding Third-State Intervention in the Syrian Civil War », Chinese Journal of International Law, vol. 13, n° 1, 2014, p. 36-40.

[17]. Voir également CORTEN Olivier, Le droit contre la guerre, Pedone, 2014, p. 453-472.

[18]. Deutscher Bundestag, Research Services, « Legal questions concerning recognition of the interim president in Venezuela », Study, 2019, p. 11.

[19]. Convention de Vienne sur le droit des traités, adopté le 23 mai 1969, entrée en vigueur le 27 janvier 1980, art. 53.

[20]. Convention de Vienne sur le droit des traités, art. 53.

[21].Commission du droit international (CDI), Projets d’articles sur la responsabilité des États pour fait internationalement illicite, 2001, art. 16.

[22]. CDI, Projets d’articles sur la responsabilité des États pour faits internationalement illicite et commentaires y relatif, 2001, p. 165, § 3.

[23]. Voir notamment RUYS Tom, loc. cit., p. 26-31 ; CORTEN Olivier et KOUTROULIS Vaios, « The Illegality of Military Support to Rebels in the Libyan War : Aspects of Jus Contra Bellum and Jus In Bello », Journal of Conflict and Security Law, vol. 18, n° 1, 2013, p. 80-87.

[24]. Voir notamment Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, « Yémen : Des experts onusien soulignent des crimes possibles de guerre commis par des parties au conflit », Communiqué de presse, 28 août 2018 ; European Centre for Democracy and Human Rights (ECDHR), « War crimes in Yemen: a long-overdue call for accountability », consulté le 21 septembre 2022 ; Human Rights Watch (HRW), « Yemen: Latest Round of Saudi-UAE-Led Attacks Targets Civilians », 18 avril 2022.

[25]. Conseil de sécurité des Nations unies, Résolution 218 (1965), 23 novembre 1965, § 6.

[26]. Conseil de sécurité des Nations unies, Résolution 418 (1977), 31 octobre 1977.

[27]. À cet égard voir CIJ, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur de séparation en territoire palestinien occupé, Avis consultatif du 9 juillet 2004, p. 200, § 159.

[28]. Voir CIJ, Sahara Occidental, Avis consultatif du 16 octobre 1975.

[29]. Voir Conseil de sécurité des Nations unies, Résolution 360 (1974), 16 août 1976.

[30]. Traité des Nations unies sur le commerce des armes, art. 13

Crédit photo: Armée syrienne lors de combats urbain appuyée par des chars, 19 juillet 2015, News channel online 24/24 (2015) via Commons Wikimedia