La signature par les États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien en 2015, a été un fait historique majeur. Après 36 ans de tensions extrêmes entre Washington et Téhéran, le président Obama opéra un virage à 180 degrés. Plutôt que de continuer une politique américaine agressive à l’encontre d’un pays menaçant de se doter de l’arme nucléaire, c’est la voie de la diplomatie et de la coexistence pacifique qui a été choisie par Obama.

Crédit photo : Portraits de Biden et Rohani (Wikimedia Commons)

Isolée au sein de la communauté internationale, la République islamique d’Iran a voulu s’imposer comme puissance régionale au Moyen-Orient en recourant notamment à des soutiens militaires à de nombreux groupes radicaux et à des régimes peu démocratiques. Une des motivations des dirigeants iraniens a été la perception de sa vulnérabilité dans le jeu des alliances régionales. Les trois principaux rivaux de l’Iran dans la région, Israël, l’Arabie saoudite et la Turquie, sont tous des alliés des États-Unis, qui leur ont accordé depuis longtemps différentes garanties de sécurité. De plus, Washington les a aidés à acquérir des stocks d’armements très importants, transformant ainsi cette région en la plus armée au monde et la plus dangereuse pour la sécurité internationale.

La première clé pour tenter d’apaiser le Moyen-Orient a donc été ce revirement de la politique américaine face à l’Iran en 2015. Or, le chemin a été long parce que les Iraniens ont eu beaucoup de raisons d’en vouloir aux Américains.

Le soutien américain à un dictateur

En 1953, les services secrets américains et britanniques organisèrent un coup d’État qui aboutit à la destitution du Premier ministre iranien Mossadegh, un nationaliste qui concrétisa la nationalisation du pétrole iranien. Ce coup de force permit une arrivée massive des Américains dans l’exploitation pétrolière du pays. Autre conséquence : le renforcement du pouvoir du Chah Mohammad Reza Pahlevi, le roi à la tête du pays.

De 1953 à 1979, le régime du Chah devint de plus en plus autoritaire et finit par devenir dictatorial, grâce notamment à la répression de la Savak, le service de sécurité et de renseignement, disposant d’un pouvoir considérable d’arrestation et de détention, et pratiquant la torture. Le Chah imposa notamment un mode de vie à l’occidentale de façon accélérée, ce qui entraîna une opposition des autorités religieuses et des émeutes à partir de 1963. De nombreuses manifestations furent organisées contre le Chah jusqu’à son départ en 1979, et l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeini.

Tout au long de quart de siècle, les Américains ont livré un énorme stock d’armement à Téhéran, afin d’en faire un allié dans la Guerre froide face à l’URSS, voisine immédiate de l’Iran. Le reproche fait aux Américains, qui reste encore vif aujourd’hui au sein de la population iranienne, est leur soutien et le renforcement du pouvoir d’un dictateur, pour des raisons stratégiques, sans s’inquiéter de la répression qu’il faisait subir à son peuple.

Une telle évolution permet de mieux comprendre le basculement de l’Iran en 1979 qui devint à la fois une république islamique et le meilleur ennemi des États-Unis.

Grand Satan et Axe du mal

Après 1979, les relations américano-iraniennes ont été une suite de confrontations verbales, économiques et militaires. Le 4 novembre 1979, des étudiants iraniens ont envahi l’ambassade américaine à Téhéran, soutenus par l’ayatollah Khomeini, prenant en otage le personnel américain pendant 444 jours. Cinq mois plus tard les États-Unis rompirent leurs relations diplomatiques avec Téhéran.

Au cours de la guerre entre l’Irak et l’Iran, les Américains ont bombardé en 1987 et 1988 des plates-formes de la compagnie nationale pétrolière iranienne. À la fin de la guerre, le 3 juillet 1988, le croiseur américain USS Vincennes abattit un Airbus 320 de la compagnie Iran Air, causant la mort de 290 civils.

En 1984, sous la présidence de Ronald Reagan, les États-Unis ont mis en place le premier embargo avec l’interdiction de livraisons d’armes et d’émissions de crédits financiers à destination de l’Iran. Sous la présidence de Bill Clinton, ayant obtenu la majorité dans les deux Chambres du Congrès, les Républicains ont voté en mars 1995 un embargo sur le pétrole iranien, puis en mai 1995, un embargo interdisant tout commerce avec l’Iran, et enfin en 1996, une loi interdisant à toute entreprise étrangère d’effectuer des investissements dans le secteur pétrolier iranien.

Si les États-Unis ont été qualifiés de Grand Satan par l’ayatollah Khomeini dès 1979, le président Georges Bush a classé l’Iran en 2002 dans l’Axe du Mal, avec l’Irak et la Corée du Nord. Au-delà de la rhétorique du président américain, Téhéran s’est senti menacé de façon de plus en plus concrète après l’entrée en guerre de Washington en Afghanistan en 2001, puis en Irak en 2003. L’Iran a ainsi été subitement coincé entre ces deux voisins au sein desquels jusqu’à 200 000 soldats américains ont été déployés dans les années 2000.

L’autre ennemi : Israël

Après les États-Unis, l’autre ennemi de l’Iran depuis 1979 est Israël, qui avait été un allié important de Téhéran depuis la fondation de l’État hébreu en 1948 et tout au long du règne du Chah. Les deux principales motivations de l’opposition entre l’Iran et Israël sont l’alliance de ce dernier avec les États-Unis et le soutien indéfectible de Téhéran à la cause palestinienne. L’Iran est le principal soutien du Hamas dans la bande de Gaza, et du Hezbollah dans le sud du Liban, en leur apportant une aide financière et militaire, dont la fourniture d’armements et de missiles.

Dès les années 1970, l’ayatollah Khomeini avait présenté Israël comme ennemi de l’Islam. Pendant la présidence du réformateur Mohammad Khatami de 1997 à 2005, les relations entre les deux pays furent moins agressives mais ne débouchèrent pas sur de grands progrès concrets leur permettant une réelle amélioration de leurs relations.

Les relations avec Israël se refroidirent nettement pendant la présidence du conservateur Mahmoud Ahmadinejad entre 2005 et 2013. Certains observateurs indiquèrent qu’au cours d’un discours en octobre 2005, il déclara que l’État d’Israël « devait être rayé de la carte »[1]. En réalité, il semble qu’il s’agissait d’une erreur de traduction, Ahmadinejad ayant plutôt dit une phrase moins radicale, bien que toujours ambigüe, estimant qu’Israël devait être « balayé des pages de l’histoire »[2]. En juillet 2008, le vice-président iranien Efsandiar Mashaie a eu une position beaucoup moins radicale avec cette déclaration : « aucune nation au monde n’est notre ennemie, l’Iran ne veut faire la guerre à aucun pays, l’Iran n’a fait que se défendre lors de la guerre Iran-Irak »[3].

Rivalités religieuses et militaires avec l’Arabie saoudite

L’Arabie saoudite est un autre grand rival des Iraniens. Jusque 1979, les relations entre les deux pays étaient amicales puisqu’ils étaient tous les deux des alliés importants des États-Unis dans la région. Le départ du Chah les a placés dans une nouvelle position de rivalité au plan religieux et au niveau stratégique.

Dès l’installation de la nouvelle république islamique en Iran, l’Arabie saoudite a participé aux tentatives de déstabilisation militaire du nouveau régime. L’Irak, qui a mené une guerre contre l’Iran de 1980 à 1988, grâce aux armements fournis à Saddam Hussein principalement par l’URSS et la France, a également été soutenu financièrement par l’Arabie saoudite. Ce conflit entraîna la mort de 480 000 Iraniens, 150 000 Irakiens et 50 000 Kurdes[4].

Les deux pays ont toujours cherché à accroitre leur influence dans la région et leur différences religieuses les a entraînés dans une confrontation de plus en plus violente. L’Arabie saoudite, leader des pays à dominante sunnite, a vu avec inquiétude se constituer dans son environnement proche un croissant de pays chiites contigus, depuis le Liban jusqu’à Iran, passant par la Syrie et par l’Irak après la chute de Saddam Hussein en 2003.

Paradoxalement, c’est Georges W. Bush qui a permis la constitution de cette continuité territoriale chiite, après le démantèlement du régime irakien sunnite au profit des forces chiites à présent au pouvoir à Bagdad[5].

L’inquiétude saoudienne face à l’accroissement des pouvoirs chiites dans les pays de la région s’explique aussi par une réalité intérieure : un grand nombre de puits de pétrole de l’Arabie saoudite sont concentrés dans la région Al-Hassa, peuplée majoritairement par des Chiites. Une sécession pro-iranienne de cette région serait le pire des scénarios pour le pouvoir central qui le priverait de la principale ressource du pays et pourrait conduire à l’effondrement de l’actuel régime sunnite saoudien.

Saoudiens et Iraniens se trouvent également opposés dans deux conflits locaux fort sanglants. En Syrie, depuis 2012, l’Iran soutient le président Bachar el Assad, tandis que l’Arabie saoudite soutient l’opposition armée, principalement des groupes islamiques. Et au Yémen, depuis 2015, l’Iran soutient la rébellion des Houthis chiites, via des livraisons d’armes, contre le gouvernement du président sunnite Hadi, soutenu par une coalition de forces armées de pays de la région, dirigée par l’Arabie saoudite[6].

Capacités militaires

Enfin, il faut souligner l’énorme capacité militaire de l’Arabie saoudite, un pays de 35 millions d’habitants[7]. En 2019, ses dépenses militaires se sont élevées à 62,5 milliards de dollars, ce qui représente 8 % de son PIB et l’équivalent de 1 786 dollars par habitant. Mais au cours des cinq années précédentes, les dépenses militaires moyennes ont été de 77 milliards de dollars par an, représentant 10,7 % de son PIB et 2 200 dollars par habitants[8].

Par comparaison, la population de l’Iran compte 84 millions d’habitants. Ses dépenses militaires ont été de 9,6 milliards de dollars en 2019, représentant 2,3 % de son PIB et 114 dollars par habitant. Signalons qu’avec 8,7 millions d’habitants, Israël a eu des dépenses militaires de 20,1 milliards de dollars en 2019, représentant 5,3 % de son PIB et 2 321 dollars par habitant.

Les dépenses militaires de l’Arabie saoudite se situent quasiment au même niveau que celles de l’Inde (1,3 milliards d’habitants) et de la Russie (142 millions d’habitants). Ces trois pays se disputant à tour de rôle depuis plusieurs années la troisième place des pays ayant le plus de dépenses militaires dans le monde après les États-Unis et la Chine. Pour la période 2014-2018, le pays ayant importé le plus d’armement dans le monde a été l’Arabie saoudite, avec l’achat de 12 % de leur total.

Le programme nucléaire militaire iranien

Les premières activités iraniennes dans le domaine nucléaire civil ont démarré en 1957 lorsque le Chah signa des accords bilatéraux avec les États-Unis. L’objectif du Chah était de lancer un projet visant à construire 23 centrales nucléaires pour la production d’électricité.

Comme l’Iran avait signé en 1968 le Traité de non-prolifération des armes nucléaires, les Américains acceptèrent en 1976 de livrer à Téhéran la technologie leur permettant de maîtriser le cycle complet de l’atome. La révolution islamique en 1979 mit fin à cette collaboration.

À son arrivée au pouvoir, Khomeiny a mis fin à tout programme nucléaire, précisant qu’il s’opposait à toute utilisation nucléaire, civile ou militaire. Mais en 1984, pendant la guerre avec l’Irak, la décision fut prise de relancer les recherches dans le domaine nucléaire civilo-militaire. Jusque dans les années 1990, plusieurs pays aidèrent ainsi l’Iran, parmi lesquels la Russie, la Chine, la France et sans doute le Pakistan.

En 2003, un rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), indiqua que l’Iran avait omis de l’informer pendant 18 ans sur un programme d’enrichissement d’uranium, commencé en 1985. Cette technologie duale permet une utilisation soit civile, soit militaire. Devenu président en 2005, Mahmoud Ahmadinejad, multiplia les discours ambigus, évoquant la volonté de l’Iran de poursuivre son programme nucléaire tout en menaçant Israël. Des rumeurs de préparation de bombardements américains et israéliens sur les installations iraniennes circulèrent alors avec insistance. C’est à ce moment que le groupe EUR-3, composé de la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, tenta en vain une médiation en vue d’entamer des discussions avec Téhéran.

En 2006, le Conseil de sécurité des Nations unies a commencé à voter des résolutions sanctionnant l’Iran. Par la suite, les pays occidentaux adoptèrent plusieurs autres sanctions afin de tenter de ralentir les programmes d’enrichissement d’uranium par l’Iran[9]. Aucun progrès ne put être concrétisé au cours des tentatives de négociations tout au long de la présidence Ahmadinejad.

Après l’élection à la présidence iranienne de Hassan Rohani en juin 2013, les Iraniens annoncèrent qu’ils étaient prêts à discuter en vue d’un accord. En novembre 2013, un accord préliminaire limitant l’enrichissement de l’uranium a pu être conclu avec le groupe 5+1 (à savoir les cinq membres permanents du Conseil de sécurité – États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni – et l’Allemagne).

Il faut souligner la position inconfortable des pays occidentaux dans l’argumentaire qu’ils présentent tout au long des négociations avec l’Iran pour l’empêcher d’acquérir l’arme nucléaire. Ils ont suivi la logique présente dans le Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP) de 1968, entré en vigueur en 1970. Ce traité a pour objectif de réduire la menace des armes nucléaires, en limitant autant que possible leur acquisition par de nouveaux pays. Plusieurs responsables iraniens ont régulièrement rappelé qu’Israël avait pu se doter d’un arsenal composé d’un minimum de 80 têtes nucléaires, vraisemblablement à partir de la fin des années 1970, et qu’ils se sentaient dès lors menacés par l’État hébreu.

L’accord de 2015 sur l’arrêt du programme nucléaire iranien

Après de longues années de négociations, pendant lesquelles les pays européens ont joué un rôle majeur, un accord est trouvé avec l’Iran. Le 14 juillet 2015, le « Plan d’action global conjoint » (Joint Comprehensive Program of Action/JCPOA) est signé à Vienne par les pays du groupe E3 (Chine, États-Unis, Russie) et les représentants du groupe UE+3 (Allemagne, France, Royaume-Uni, ainsi que la Haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères). Ce plan fut ensuite approuvé à l’unanimité par le Conseil de sécurité à travers la résolution 2231 du 20 juillet 2015[10].

Concrètement, cet accord prévoit quatre types d’actions : réduction des stocks et de la capacité d’enrichissement de l’uranium par l’Iran, fin de la production de plutonium, mise en place d’un régime renforcé de contrôle international et d’inspections, et renforcement de la coopération de l’Iran avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)[11].

L’objectif est bien d’empêcher l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire. En échange, il a été prévu une levée progressive des sanctions économiques émises à l’encontre de l’Iran par plusieurs pays (dont le États-Unis) et institutions internationales (dont l’ONU et l’Union européenne).

Afin de justifier sa politique d’ouverture face à l’Iran, Barack Obama déclara en 2015 que les dépenses militaires iraniennes représentaient seulement un huitième de celles des alliés régionaux de Washington, et un quarantième du budget militaire américain, soit 2,5 %[12]. Les derniers chiffres du SIPRI montrent que l’écart s’est encore accru récemment puisque pour 2019, les dépenses militaires de l’Iran ont représenté 1,33 % de celles des États-Unis[13].

Trump sort les États-Unis de l’accord
et tente d’empêcher Biden d’y rentrer

Le 8 mai 2018 Donald Trump a annoncé le retrait des États-Unis de l’accord du 15 juillet 2015 sur le nucléaire iranien, ce qui fut salué par Israël et l’Arabie saoudite, mais condamné par tous les autres signataires de cet accord[14]. Abandonnant la méthode de la diplomatie adoptée par Barack Obama, Donald Trump repositionna Washington dans une posture de relance de confrontation avec Téhéran[15].

Le 3 janvier 2020, le président Trump autorisa une attaque militaire en Irak qui provoqua la mort du général iranien Qassem Soleimani, le commandant des Gardiens de la Révolution islamique.

Après son échec lors des élections présidentielles du 3 novembre 2020, Donald Trump chercha par tous les moyens à durcir la position américaine à l’égard de l’Iran. Son but était essentiellement de tenter d’empêcher ou de ralentir le retour des États-Unis dans l’accord du 15 juillet 2015, annoncé par le nouveau président Joe Biden.

Le 10 novembre 2020, le New York Times indiquait que « des responsables du ministère de la Défense expriment en privé des craintes que le président puisse lancer des opérations, publiques ou secrètes, contre l’Iran ou d’autres adversaires au cours de ses derniers jours au pouvoir »[16]. Le 12 novembre 2020, au cours d’une réunion à la Maison blanche, Donald Trump a voulu examiner la possibilité de réaliser une frappe militaire contre un site nucléaire iranien, mais il en a été dissuadé par ses proches conseillers face à un risque que cela dégénère en un conflit plus vaste[17].

Le 22 novembre 2020, une réunion secrète s’est tenue à Neom, dans le nord de l’Arabie saoudite, réunissant le Secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman (« MBS »), et le chef du gouvernement israélien Benyamin Netanyahou[18]. Il semble que l’objet de la réunion ait été d’examiner la mise en œuvre d’actions à réaliser avant le 20 janvier 2021. En effet, l’arrivée à la Maison blanche de Joe Biden est jugée comme étant une catastrophe stratégique tant par Mohammed Ben Salman que par Benyamin Netanyahou, car elle met en péril leur politique, notamment envers l’Iran.

Quelques jours plus tard, le 27 novembre, le scientifique Mohsen Fakhrizadeh, un des principaux responsables du programme nucléaire iranien, a été assassiné par des inconnus à Téhéran[19]. Les Iraniens ont estimé qu’il s’agissait d’une attaque du Mossad, le service secret israélien, vraisemblablement avec la bénédiction de Washington. Plusieurs observateurs ont estimé qu’il s’agissait d’une provocation, visant à pousser l’Iran à réagir avec des représailles, ce qui aurait entraîné sa condamnation sur la scène internationale et le mettrait ainsi en position de faute stratégique[20].

Ce genre de provocation intervient à un double moment clé dans l’agenda des relations américano-iraniennes. D’une part, cet assassinat intervient à la veille de la transition du pouvoir présidentiel à Washington, compliquant quelque peu les intentions annoncées par le président élu Joe Biden de reprendre le chemin de la normalisation des relations avec Téhéran. D’autre part, l’Iran entame à son tour une période de campagne électorale puisque les élections présidentielles auront lieu en juin 2021.

La preuve que cet assassinat pourrait avoir des conséquences sur la politique tant intérieure qu’extérieure de l’Iran se trouve dans les réactions recueillies à Téhéran juste après l’attentat. Le président Hassan Rohani a déclaré pour sa part qu’il était important « de ne pas tomber dans le piège » et donc ne pas réagir tout de suite à l’assassinat de Mohsen Fakhrizadeh. En revanche, l’aile dure du régime, et en particulier les gardiens de la révolution, ont réclamé une réponse forte et immédiate. Le quotidien ultraconservateur a même préconisé d’attaquer Israël en lançant des missiles sur le port israélien de Haïfa[21].

Un accord permettant le début d’une pacification du Moyen Orient

Le retour des États-Unis au sein de l’accord nucléaire iranien de 2015 a été annoncé par Joe Biden. La parenthèse Trump devrait donc se refermer. La poursuite des objectifs tracés par Barack Obama pourrait alors reprendre son cours.

En janvier 2014, dans une interview au journal New Yorker, Obama expliquait qu’il voulait trouver au Moyen-Orient « un nouvel équilibre géostratégique, moins turbulent que le paysage de guerre civile, de terreur et de batailles sectaires », précisant que « l’Iran pourrait mettre fin à son isolement » et qu’il pourrait devenir « un pouvoir régional prometteur »[22]. En février 2015, dans le magazine Mosaic, Michael Doran, chercheur au Hudson Institute et ancien conseiller de George W. Bush, confirmait cette position : « À la question centrale de savoir si l’Iran peut être un acteur positif, l’Administration (Obama) répond clairement oui. C’est d’ailleurs un point de vue répandu à Washington, non sans raison ». Pour Michael Doran, la politique suivie par le président Obama est bien différente de son prédécesseur : « Si en terre Bush, l’Amérique se conduisait comme un shérif, levait des troupes pour poursuivre des monstres, dans le monde d’Obama, l’Amérique cherche à désarmer ses rivaux en les enlaçant dans une toile de coopération »[23].

Depuis des décennies, l’histoire du Moyen-Orient est une succession de guerres et de conflits sanglants et est devenue actuellement une véritable poudrière. C’est la région la plus instable au monde, où est concentrée une immense quantité d’armements. Les politiques des pays du Moyen-Orient ont jusqu’à présent été majoritairement fondées sur des oppositions armées dans un climat de banalisation de la culture de la violence. Cela a toujours mené à d’immenses souffrances parmi les populations civiles en renforçant des régimes radicaux peu démocratiques.

La défense des intérêts de chacun des pays de la région et de leur population pourrait, à l’instar de ce qu’a connu l’Europe après deux guerres mondiales et la fin de sa division en deux blocs est-ouest antagonistes, évoluer vers une organisation des relations plus apaisée. La méthode de l’action diplomatique avec la recherche de consensus, le règlement non militaire des conflits et la coopération pour une sécurité commune, pourrait davantage mener à un réel développement économique et social.

Un évènement mondial majeur pourrait être déterminant dans les prochaines années dans la région du Moyen-Orient. Le pétrole roi a longtemps été la cause des rivalités et l’origine d’un très grand nombre de conflits dans la région. La fin programmée de l’ère du pétrole va considérablement modifier la réalité d’un grand nombre de pays au sein du Moyen-Orient. La prise de conscience des limites des ressources en hydrocarbures et la volonté de plus en plus affirmée d’accélérer la lutte contre le réchauffement climatique vont inexorablement changer le contexte futur. Des pays comme l’Arabie saoudite, les pétromonarchies du Golfe, l’Iran et l’Irak vont perdre un atout considérable qui a fait leur richesse depuis une cinquantaine d’années.

Un élément déclencheur potentiellement prometteur

Le retour des États-Unis dans l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 pourrait réellement entraîner une nouvelle dynamique. La perspective d’un Iran sans arme nucléaire pourrait se réaliser, en échange de la fin des sanctions économiques contre Téhéran, d’où une relance du développement socio-économique du pays. Logiquement, cela devrait entraîner au sein des forces politiques à Téhéran le renforcement des modérés et l’affaiblissement des religieux conservateurs radicaux qui sont actuellement les véritables détenteurs de pouvoir à Téhéran. Ces derniers ont acquis au fil du temps leur légitimité et leur popularité grâce aux menaces extérieures subies par l’Iran. Si ces menaces venaient à disparaître, leur pouvoir devrait diminuer. On pourrait également entrevoir une plus grande ouverture du régime islamique en direction du respect des droits humains (abolition de la peine de mort, rétablissement des libertés fondamentales) avec un assouplissement des règles imposées à la population par un pouvoir religieux radical de plus en plus contestés depuis plusieurs années.

Une telle évolution pourrait avoir au moins deux conséquences pour la sécurité régionale. D’abord une diminution des interventions militaires iraniennes dans plusieurs lieux de conflits : Syrie, Liban (Hezbollah), Palestine (Hamas), Yémen, Irak.

Ensuite, cela faciliterait également la résolution du conflit israélo-palestinien, avec la fin de l’extension des colonies israéliennes en Cisjordanie, et la création de l’État palestinien, qui sont des objectifs annoncés par Joe Biden. Cela permettrait d’entrevoir de meilleures relations entre l’Iran, l’Arabie saoudite et Israël.

Cela pourrait aussi faciliter le règlement de plusieurs autres problèmes dans la région : la fin des conflits en Syrie et au Yémen, la pacification des territoires de l’ouest de l’Irak, et la lutte contre le terrorisme.

Le travail est sans aucun doute encore immense, mais le retour de Washington dans l’accord sur le nucléaire iranien pourrait bien être la clé qui permettrait enfin de lancer le démarrage d’un processus de pacification du Moyen-Orient

Auteur

Bernard Adam a été le Directeur du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) de 1979 à 2010.

Le retour des États-Unis dans l’accord nucléaire iranien sera-t-il synonyme d’apaisement au Moyen-Orient ?

[1]. « En voie de radicalisation, l’Iran veut “rayer” Israël de la carte », Mouna Naïm, Le Monde, 6 octobre 2007.

[2]. « Lost in translation », Jonathan Steele, The Guardian, 14 juin 2006.

[3]. « Iranian VP: We are friends of the nation of Israel », Dudi Cohen, www.ynetnews.com, 20 juillet 2008.

[4]. « Pierre Razoud : “La guerre Iran-Irak a façonné la géopolitique actuelle du Golf” », Christophe Ayad, Le Monde, 12 décembre 2013.

[5].« Comment, depuis 2003, les États-Unis ont offert l’Irak à l’Iran », Paul Guyonnet, www.huffingtonpost.fr, 19 janvier 2020.

[6]. « L’Arabie saoudite intervient militairement au Yémen pour contrer l’Iran », Le Monde, 26 mars 2015.

[7]. « La machine de guerre saoudienne à l’épreuve de ses ambitions », Georges Berghezan, Les Rapports du GRIP, 2020/1.

[8]. « Dépenses militaires, production et transferts d’armes. Compendium 2020 », Les Rapports du GRIP, 2020/3.

[9]. « Iran : comment arrêter la prolifération nucléaire », Bernard Adam, Carte blanche, Le Soir, 6 avril 2007.

[10]. « L’accord iranien sur le nucléaire, une révolution géopolitique pour la région et pour le monde », Sébastien Boussois, Note d’analyse du GRIP, 27 juillet 2015.

[11]. « L’accord sur le nucléaire iranien : décryptage », Christophe Stiernon, Éclairage du GRIP, 21 octobre 2015.

[12]. « La cible iranienne », Serge Halimi, Le Monde diplomatique, janvier 2018.

[13]. SIPRI Yearbook 2020.

[14]. « Menaces sur l’accord nucléaire iranien », Denis Jacqmin et Hélène Voisin, Note d’Analyse du GRIP, 22 mars 2018.

[15]. « Donald Trump annonce le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien », Le Monde, 8 mai 2018.

[16]. « Moyen-Orient : Donald Trump va-t-il frapper l’Iran avant de devoir partir ? », Baudouin Loos, Le Soir, 13 novembre 2020.

[17]. « Donald Trump a sondé ses conseillers quant à une éventuelle frappe contre un site nucléaire iranien », Le Monde, 17 novembre 2020.

[18]. « La nouvelle administration Biden veut une relation plus “équilibrée” avec l’Arabie saoudite », Alain Frachon, Le Monde, 26 novembre 2020

[19]. « La stratégie la plus agressive envers l’Iran est-elle indiquée ? », Baudouin Loos, Le Soir, 1er décembre 2020.

[20]. « Jonathan Piron : “Certains tentent de pousser l’Iran à la faut” », entretien avec Baudouin Loos, Le Soir, 1er décembre 2020.

[21]. « L’Iran divisé sur sa riposte au meurtre de Mohsen Fakhrizadeh », Le Monde, 1er décembre 2020.

[22]. « Nucléaire : le grand jeu iranien d’Obama », Laure Mandeville, Le Figaro, 20 février 2015.

[23]. « Obama’s Secret Iran Strategy », Michael Dorman, Mosaic, 2 février 2015.