Le 10 août 2017, un rapport[1] d’un groupe d’experts onusiens est revenu en détail sur la question sécuritaire dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Ce document fait état d’une prolifération de groupes armés de différentes nationalités de la région des Grands Lacs, dont des rebelles burundais. Ces derniers, bien établis dans le Sud-Kivu congolais pour échapper à une violente répression lancée depuis deux ans au Burundi, lancent régulièrement des attaques de l’autre côté de la frontière contre les forces gouvernementales du régime de Pierre Nkurunziza. Comment ces groupes hétérogènes, principaux représentants de l’opposition armée burundaise, évoluent-ils pour déstabiliser le régime de Bujumbura?

(Crédit photo : Soldats burundais en patrouille – Source: UA/ONU IST Photo/Abdi Dakan)

La radicalisation du régime alimente l’opposition

Depuis fin avril 2015, quand le président Nkurunziza a été autorisé par la Cour constitutionnelle à briguer un troisième mandat, un large mouvement de contestation est apparu dans l’ensemble du Burundi[2]. Une grande partie de la jeunesse, sans perspective d’avenir et favorable au changement, a pris pacifiquement le chemin de la rue et s’est rangée derrière les partis d’opposition. Après un putsch avorté du général Godefroid Niyombare en mai 2015, Bujumbura a réagi par la traque des opposants, le quadrillage de la capitale et la destruction de radios privées. Nkurunziza a finalement été réélu le 27 juillet 2015 dans un climat de répression lors d’une élection critiquée par les observateurs internationaux. En effet, considérant la candidature de Nkurunziza comme illégitime et inconstitutionnelle, une large partie de l’opposition avait boycotté les urnes rendant les résultats peu crédibles aux yeux de plusieurs États.

À l’heure actuelle, le régime et la branche la plus radicale du parti présidentiel, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), s’appuient sur deux piliers pour tenir le pays d’une main de fer: le Service national de renseignement (SNR) et les Imbonerakure[3],  yeux et oreilles du régime.

De nombreuses violations des droits de l’homme (cas de torture, agressions sexuelles, exécutions extrajudiciaires…) perpétrées contre des non-partisans du CNDD-FDD ont été enregistrées par les Nations unies. La petite taille du pays (27 834 km²) et l’immobilisme de la communauté internationale ont facilité la mise en place des politiques répressives par le régime.

En raison de la multiplication des exactions et disparitions, environ 410 000 Burundais (soit 4% de la population) ont quitté leur pays. Encore plus inquiétant, selon les rapports de plusieurs ONG des droits de l’homme, l’ombre d’un génocide planerait sur le pays.

Une opposition divisée

Face à cette dérive autoritaire, l’opposition est divisée et affaiblie. D’une part, l’opposition parlementaire a peu de marge de manœuvre sous risque d’être suspendue de l’Assemblée nationale et la plupart de ses militants sont persécutés dans le pays. D’autre part, l’opposition extraparlementaire reste très divisée. Le Conseil national pour le respect de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi et de l’état de droit (CNARED), plateforme citoyenne d’opposition au troisième mandat présidentiel, est minée par des rivalités internes et divise les leaders de la société civile burundaise. En outre, les négociations avec le pouvoir sont au point mort. Depuis fin février 2017, alors que le CNARED souhaite s’asseoir à la table des négociations, le président burundais reste ferme sur sa volonté de privilégier un dialogue interne qui exclut un bon nombre d’acteurs, dont les opposants en exil.

Enfin, le putsch manqué de mai 2015 a montré qu’une frange de l’armée était opposée à un troisième mandat de Nkurunziza. Selon Thierry Vircoulon, spécialiste de la région des Grands Lacs, de profondes fractures politico-communautaires sont ancrées dans l’institution. Depuis fin 2015, le régime de Nkurunziza tente de remettre la main sur les forces de sécurité par le biais de purges. Des mouvements armés composés de soldats et policiers déserteurs (entre 600 et 2 000 hommes selon un rapport de l’International Crisis Group) sont venus alimenter des groupes armés rebelles burundais déjà présents en RDC.

Base arrière dans la « zone grise » du Sud-Kivu

Depuis plusieurs mois, le nombre d’attaques des groupes armés burundais semble s’intensifier le long de la frontière avec la RDC, malgré la forte présence des forces gouvernementales de Bujumbura. Selon les discours officiels de ces groupes, l’objectif initial de la majorité d’entre eux était d’amener le pouvoir central burundais à négocier. Les négociations étant au point mort, la volonté de renverser Nkurunziza par les armes primerait aujourd’hui.

La plupart des groupes rebelles burundais ont établi leurs bases arrière dans les régions d’Uvira et de Fizi (Sud-Kivu). Dans cette «zone grise», région sur laquelle l’État congolais a peu d’emprise, prolifère un grand nombre de groupes armés. Selon les services de renseignement congolais et les rapports des Nations unies, des relations complexes sont quotidiennement tissées entre des factions armées burundaises (comme les FPB[4] ou les FNL[5]) et des groupes armés congolais (dont les milices Maï-Maï Réunion et les Maï-Maï Yakutumba) qui restent majoritaires dans la région.

Depuis des camps d’entrainement situés sur les hauts plateaux du Sud-Kivu, des opérations sont lancées par les groupes de rebelles burundais au Burundi, souvent sous la forme d’attaques-éclair ou d’embuscades. Les forces de l’ordre burundaises sont particulièrement ciblées. Le camp de réfugiés de Lusenda (Sud-Kivu), où sont regroupés 26 000 Burundais, offre un cadre idéal dans lequel ces groupes peuvent piocher leurs effectifs[6].

Si auparavant, certains groupes recevaient un soutien du Rwanda sous forme de formations militaires, appui logistique mais aussi envoi de faux papiers (cartes d’électeurs congolaises)[7], cela ne serait plus d’actualité, selon le rapport des Nations unies précité.

De surcroît, l’opposition armée reste très hétérogène puisque les groupes ont connu des parcours fort différents. En effet, certains peuvent être définis comme les branches armées de partis politiques burundais de l’opposition (FNL, Tabara[8]) qui les utilisent pour renforcer leur position sur la scène politique burundaise, tandis que d’autres regroupent principalement des déserteurs de l’armée (Forces populaires du Burundi). En outre, si certaines factions comme les Forces nationales de libération (FNL) ont une longue expérience en termes de guérilla, l’apparition d’autres groupes est plus récente puisqu’elle est directement liée aux conséquences du putsch manqué de mai 2015, de la purge de l’armée et de l’intensification de la répression du pouvoir central contre les militants des partis d’opposition. Enfin, en termes d’organisation, on constate un vrai contraste. Les FPB, groupe armé multicommunautaire de 500 combattants professionnels bien équipés et disposant d’une hiérarchie claire, diffère par exemple de la Tabara, très divisée en interne. Néanmoins et logiquement, des groupes plus politisés comme la Tabara ou les FNL bénéficient d’un nombre plus important de relais dans la société burundaise.

Pour lancer leurs opérations, la plupart des groupes peuvent compter sur un important trafic d’armes légères de petit calibre (ALPC) dans la région. Dans l’est de la RDC, le prix moyen d’une AK 47 est de 30 à 40 dollars et celui d’une mitrailleuse légère de 200 à 250 dollars.

Vers une «union sacrée» entre les groupes burundais?

La Tabara a déclaré dans un communiqué daté du 30 août 2017 que «l’ensemble des mouvements arriveront à mettre en œuvre une synergie d’action commune de la lutte armée au  Burundi». À noter que des alliances et une collaboration avaient déjà été établies entre les FNL et la Tabara au début de l’année 2016.

Certes, si les rapprochements intergroupes semblent légèrement s’accélérer, cela pourrait s’expliquer par une volonté de constituer une force plus puissante face à la répression. Actuellement, il semblerait que de plus en plus de membres de la Tabara, dont des officiers, rejoignent les FPB en raison de désaccords politiques. Bujumbura semble minimiser le danger que représentent ces «bandits» alors qu’une synergie des groupes pourrait potentiellement faire peser une menace plus sérieuse sur la capitale burundaise, située à seulement une dizaine de kilomètres de la frontière congolaise. Néanmoins, si une structuration et une fédération des groupes burundais semblaient être possible sous l’influence d’une puissance étrangère capable de leur faire surmonter leurs divisions politiques et communautaires[9], le fait que le Rwanda prenne actuellement ses distances vis-à-vis de ces derniers risque de compliquer ce rapprochement. Par ailleurs, les violations des droits de l’homme commises par les groupes rebelles les empêcheront d’obtenir un appui des populations locales et un soutien de pays occidentaux.

Pourtant, l’apaisement progressif des tensions entre les gouvernements du Burundi et de la RDC sur la question sécuritaire du Kivu semble menacer directement leur existence. En effet, si en principe les forces armées burundaises sont autorisées à exercer un droit de poursuite contre des rebelles burundais, plusieurs violents accrochages ont eu lieu depuis décembre 2016 dans la région d’Uvira entre les FARDC et des militaires burundais. Le 27 juillet 2017, des négociations entre les gouvernements burundais et congolais ont d’ailleurs été lancées afin d’établir une coopération sécuritaire dans le Sud-Kivu et éviter que des poursuites de groupes rebelles ne soit interprétées comme des «cas d’ingérence». Le but pour le gouvernement burundais serait d’intervenir manu militari sur les hauts plateaux du Sud-Kivu pour détruire les bases arrière des groupes rebelles.

Déjà, le 31 janvier 2017, le rapatriement à Bujumbura de 186 rebelles burundais arrêtés dans la plaine de la Ruzizi par l’armée congolaise pouvait être considéré comme un signe fort de rapprochement entre les deux gouvernements.

En somme, à l’heure actuelle, si l’on prend en compte le rapport de force entre les deux camps, l’option armée que proposent les groupes rebelles pour renverser Pierre Nkurunziza parait difficilement réalisable. Nkurunziza a les cartes en main et espère faire durer cette situation de blocage jusqu’aux élections de 2020. Les groupes rebelles burundais, principaux représentants de l’opposition armée, manquent de moyens humains, matériels, financiers et de soutien extérieur. En outre, à l’image de l’opposition politique, ils restent très divisés et une synergie complète semble aujourd’hui peu envisageable pour des raisons communautaires et politiques. Pourtant, seule l’hypothèse d’une synergie de l’opposition, qui se traduirait par la création d’une vaste coalition des groupes rebelles soutenue par une opposition politique unie, serait à même de rééquilibrer les forces en présence et de relancer des négociations.

L’auteur

Clément Lobez est assistant chercheur au GRIP sous la direction de Claire Kupper, chef de projet de la section «Conflits, sécurité et gouvernance en Afrique».

Télécharger la version PDF :

pdf L’opposition armée burundaise: état et capacité d’influence sur le régime de Nkurunziza

 


[1]. Rapport d’information au Président du Conseil de sécurité, S/2017/672/Rev*1, 16 août 2017.

[2]. Plauchut Agathe, «Burundi : les conséquences d’un coup d’État manqué», Éclairage du GRIP, 21 mai 2015.

[3]. Les «Imbonerakure» (visionnaires) seraient composés de jeunes militants politiques que le parti dit «non violents» ainsi que d’anciens combattants du CNDD-FDD au temps de la rébellion, qui n’auraient pas été désarmés et auraient repris du service lorsque le climat politique s’est tendu.

[4]. Les Forces populaires du Burundi (FPB) ont été créées le 23 décembre 2015, sous le nom de FOREBU, avant de se rebaptiser ainsi en août 2017. Le groupe serait progressivement devenu le plus puissant des groupes rebelles burundais en RDC, selon le dernier rapport des experts des Nations unies. Le mouvement compterait entre 300 et 500 combattants, concentrés dans les territoires d’Uvira et de Fizi (Sud-Kivu). Il est principalement composé de déserteurs des forces armées et de la police burundaise. Néanmoins, pour renforcer ses effectifs, le groupe recrute des civils dans le camp de réfugiés de Lusenda. Le mouvement semble dépasser les clivages ethniques, puisque on y retrouve à la fois des Tutsi et des Hutu. S’il manque de relais dans la population burundaise, c’est lui qui possèderait les soldats les mieux formés.

[5]. Les Forces nationales de libération du Burundi (FNL) sont présentes depuis une vingtaine d’années dans le Sud-Kivu et ont combattu dans la guerre civile burundaise pour la cause hutue. Même s’il est beaucoup moins actif qu’auparavant, le groupe a repris les armes depuis février 2013 après l’évincement de son chef historique, Agathon Rwasa. Celui-ci préside depuis un parti politique ayant gardé le même nom que la guérilla et représenté au Parlement burundais. Le groupe armé aujourd’hui commandé par un déserteur de l’armée burundaise, le colonel Nzabampema est placé sous la direction politique d’Isidore Nibise. Début 2016, les FNL comptaient 400 hommes établis dans les hauts plateaux et les plaines de la Ruzizi. Elles sont essentiellement composées de Burundais provenant de la région de la forêt de Rukoko ou du camp de réfugiés de Lusenda, mais aussi de quelques déserteurs des forces armées burundaises.

[6]. Murhula Batumike Paterne, «Réfugiés burundais: des risques sécuritaires et fonciers pour la région», Éclairage du GRIP, 12 août 2015

[7]. Rapport d’information au Président du Conseil de sécurité, S/2016/466, 23 mai 2016.

[8]. La RED-FRONABU Tabara (Résistance pour un État de droit au Burundi) est considérée par la plupart des experts comme la branche armée du parti politique du Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD) qui était représenté au Parlement jusqu’en avril 2017. Ce parti politique de l’opposition est présidé par Alexis Sinduhije. Si le mouvement est présent dans l’est de la RDC depuis 2011, la faction armée est très divisée entre la RED et le FRONABU. Selon un rapport de l’International Crisis group du 5 avril 2017, la Tabara est principalement composée de jeunes militants du MSD ayant fui les persécutions dans leur pays d’origine. La Tabara est populaire au Burundi mais manque de moyens opérationnels.

[9]. En 2012, le M23, soutenu financièrement et logistiquement par le Rwanda, avait réussi à rassembler un très grand nombre de groupes armés de tous bords politiques et communautaires autour d’une cause anti-Kabila. Voir «Groupes armés actifs en R. D. Congo – Situation dans le « Grand Kivu » au 2e semestre 2013 », Rapport du GRIP, décembre 2013.