En Syrie, l’Union européenne a presque failli être oubliée. Lors de la crise libyenne deux ans auparavant, un Conseil européen extraordinaire avait au moins pu être organisé en toute urgence (mars 2011), avant que les avions de chasse franco-britannique n’investissent le ciel libyen. La tentative de conférer à l’UE une position commune fut vaine, mais réelle. Face aux possibles frappes contre le régime de Bachar el-Assad, cette peine a désormais été épargnée aux chefs d’État et de gouvernement. Les appels tardifs du président français François Hollande pour que la voix de l’Union se fasse entendre n’enlèvent rien au fait qu’initialement, ni lui ni David Cameron n’avaient cru bon porter le dossier à Bruxelles.

Malgré sa marginalisation croissante, l’UE n’est toutefois pas complètement absente du théâtre syrien. Souvent critiquée, la Haute Représentante pour la politique étrangère de l’Union, Catherine Ashton, a su cette fois-ci adopter une position intéressante, bien qu’elle soit passée quasiment inaperçue au niveau international. Dans une déclaration publiée au lendemain de la présumée attaque chimique du 21 août, Mme Ashton avait demandé avec force que le processus diplomatique soit relancé « sans plus attendre » (« Without further delay »). « We must move beyond our differences » (« nous devons aller au-delà de nos différences »), pouvait-on également y lire. Une telle prise de position a quelque chose de surprenant, si l’on considère qu’elle semble s’adresser avant tout aux diplomaties européennes et internationales, bien plus qu’aux belligérants sur le terrain. Mais les déclarations belliqueuses britanniques et françaises qui suivront ne semblent pas avoir pris en compte l’appel de Mme Ashton.

La carte que la chef de la diplomatie européenne semblait vouloir abattre sur l’échiquier syrien était celle de la médiation. En fait, la majorité des chefs d’État et de gouvernement de l’Union se sont montrés jusqu’à présent plus circonspects et prudents que leurs homologues franco-britanniques face au dossier syrien, en gardant une certaine distance par rapport aux parties en conflit. Cette différence notable avait déjà pu être observée lors de l’épineux débat relatif à la levée de l’embargo d’armes au profit des rebelles syriens, en mai 2013.

A ce jour, aucun autre pays européen n’a manifesté sa disponibilité à contribuer, ne fut-ce que symboliquement, aux frappes qui pourraient s’abattre contre le régime syrien. Quant au soutien diplomatique à apporter à une telle intervention, il est resté plutôt tiède jusqu’à présent. L’Allemagne a maintenu une position ambiguë, sans doute pour ne pas perturber la campagne électorale qui la mènera aux élections législatives du 22 septembre. Cependant, cette ambigüité contraste nettement avec l’opposition intransigeante manifestée par Berlin contre l’intervention en Libye il y a deux ans. L’Italie a, quant à elle, adoptée une position plus ferme : sa ministre des Affaires étrangères, Emma Bonino, d’ailleurs fine connaisseuse de la région (elle a vécu et travaillé au Caire), s’est opposée à toute intervention non autorisée par l’ONU, et a manifesté son scepticisme même dans l’hypothèse où le Conseil de sécurité approuverait l’attaque. La Pologne et la République Tchèque ont elles aussi manifesté leur scepticisme, alors que l’Espagne est restée longtemps silencieuse. Madrid tend toutefois à soutenir diplomatiquement un allié lorsqu’il est impliqué dans des hostilités militaires. La position de la Suède est particulièrement délicate. Ce pays est en effet traditionnellement interventionniste et très attaché au principe de « Responsibility to protect » (R2P – responsabilité de protéger). Mais il veille également à respecter la légalité internationale et a, de ce fait, manifesté son opposition à toute solution militaire non négociée au conflit. La Belgique a adopté une position similaire : les ministres Pieter De Crem et Didier Reynders ont clairement affirmé qu’aucune intervention ne pouvait être envisagée sans l’aval de l’ONU. A ce jour, les pays les plus enclins à appuyer les frappes seraient le Danemark, la Croatie et la Roumanie, alors que la Grèce s’est déclarée disposée à concéder son espace aérien au besoin.

Après la gifle du parlement britannique à David Cameron du 30 août dernier, la France apparait donc plutôt isolée sur la scène européenne. Dans ce contexte, un constat s’impose. La politique musclée que Londres et Paris ont mené en duo tout au long de la crise syrienne a jeté un voile sur le rôle plus posé que l’UE aurait pu jouer en faveur d’une solution négociée.

Les Européens jouissaient pourtant d’une certaine crédibilité dans la région ; un atout qu’ils avaient su mettre à profit en 2006, lorsqu’ils avaient réussi à s’interposer avec succès au conflit opposant Israël au Hezbollah libanais. Certes, cette initiative était imputable à l’Italie et à la France plutôt qu’à l’UE, mais force est de constater qu’elle avait pu être menée grâce à la distance que l’Europe dans son ensemble avait su maintenir face aux parties en conflit. Cette capacité de médiation est-elle définitivement compromise en Syrie ?

Malgré tout, l’UE est encore perçue dans le monde comme une puissance tranquille et moins invasive que celles incarnées par les vieilles diplomaties nationales ou par les Etats-Unis. La France et le Royaume-Uni devraient lui permettre d’assumer pleinement ce rôle de médiateur, ou du moins de le récupérer après les frappes qui semblent désormais imminentes. Bref, Londres et Paris devraient faire un pas en arrière au profit de Bruxelles. A ce propos, il est intéressant de faire un parallèle avec la crise égyptienne. Car ici la paralysie des capitales européennes a, de fait, conféré à l’UE une certaine marge de manœuvre qui a permis à Catherine Ashton de se poser en médiatrice. Dans cette crise aussi les Européens ont intérêt à promouvoir une solution négociée…

Cet article a été publié initialement le 6 septembre dans la rubrique opinions du site RTBF Info.

Crédit photo: European External Action Service