En Belgique, la décision d’octroyer ou non une licence d’exportation d’armes relève de la compétence exclusive de chaque région (Wallonie, Flandre, Bruxelles-Capitale). En effet, le 21 juin 2012, la Région wallonne a adopté un décret réglementant l’importation, l’exportation et le transit d’armes, et cela conformément aux engagements pris par la Belgique lors de l’adoption de la Position commune de l’Union européenne (UE) en matière d’exportation d’armements. À ce titre, selon l’article 24 du décret de 2012, la région soumet des rapports annuels détaillant les décisions d’octroi de licences. Ces rapports font ensuite l’objet d’une publication officielle accessible en ligne. Bien que moins tardif que le précédent[1], le rapport portant sur l’année 2019 publié à la fin novembre 2020, soit 11 mois après l’année concernée, ne permet toujours pas un contrôle public et parlementaire efficace[2].

Crédit photo : Stand de FN Herstal à Eurosatory (Paris) – Benjamin Vokar

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Cet éclairage vise à analyser le Rapport Armes de la Région wallonne portant sur l’année 2019. Dans une première partie, il met en évidence les principales données chiffrées du Rapport et les évolutions par rapport à l’année d’octroi de licences en comparaison avec le rapport portant sur l’année précédente. Dans une deuxième partie, le Rapport Armes est analysé à la lumière de l’actualité, en particulier au regard des exportations d’armes vers des pays dits « sensibles » tels que l’Arabie saoudite et le Mexique.

La valeur des licences octroyées en 2019

En 2019, 1 299 licences d’exportation ou transfert d’armes et de matériel militaire portant sur des mouvements définitifs ont été octroyées par la Région wallonne. La valeur totale de ces licences s’est élevée à 2 659 447 745 EUR, soit une augmentation de 180 % par rapport à l’année 2018 (949 922 079 EUR en 2018). Il s’agit du deuxième montant le plus élevé depuis dix ans, après le pic de l’année 2014[3]. Toutefois, si l’on se penche sur le nombre de licences délivrées, on constate une baisse de 1,5 % par rapport à l’année 2018 (1 319 licences octroyées en 2018).

La valeur des exportations réelles des entreprises d’armement wallonnes pour l’année 2019 est elle aussi en hausse (+39,6 %) et s’élève à 1 239 millions EUR. Bien que les entreprises wallonnes du secteur de l’armement communiquent chaque année au gouvernement des informations détaillées sur leurs exportations effectives à destination des pays de l’UE (description du produit, quantité et valeur, dates de transfert, utilisation finale et utilisateur final), peu d’informations sur les exportations réelles sont disponibles dans les Rapports Armes[4].

Graphique 1. Valeur des licences octroyées en millions EUR courants par rapport aux exportations réelles entre 2009 et 2019

Source : GRIP, 2020, d’après le Rapport sur les exportations wallonnes sur l’année 2019.

Destinations des licences octroyées en 2019

En 2019, la Région wallonne a accordé des licences d’armes vers 64 pays, soit 4 pays de moins qu’en 2018. En nombre de licences accordées, les pays de l’Union européenne et d’Amérique du Nord restent les principaux destinataires des licences octroyées par la Wallonie (87,68 % du total). Le continent asiatique ainsi que le Proche et le Moyen-Orient représentent 7,16 % des licences octroyées. Ainsi, si on analyse l’évolution du nombre de licences octroyées en 2019, on observe qu’il y a une diminution du nombre de licences accordées à destination du Proche et du Moyen-Orient (-32 %), de l’Amérique du Nord (-3 %) et de l’Asie (-32 %). Cependant, lorsqu’on analyse ces données en termes de valeur de licences, on s’aperçoit qu’il y a en réalité une augmentation de 35 % de la valeur des licences accordées vers le Proche et Moyen-Orient, de 1 175 % vers l’Amérique du Nord et de 116 % vers l’Asie.

Ainsi, en termes de valeur de licences approuvées, l’Amérique du Nord (1 905 755 487 EUR) et le Moyen-Orient (331 140 210 EUR) sont les premières destinations des licences d’armes de la Région wallonne. On peut également noter une diminution du nombre de licences octroyées vers l’Amérique centrale et du Sud, et ce tant au niveau du nombre de licences octroyées (-43 %) que de la valeur de ces licences (-21 %).

Graphique 2. Répartition en pourcentages de la valeur des licences accordées par région en 2019

Source : GRIP, 2020, d’après le Rapport sur les exportations wallonnes sur l’année 2019.

Si des pays comme l’Arabie saoudite et les États-Unis restent parmi les premiers clients de la Wallonie, certains changements sont à souligner par rapport à l’année 2018. En 2018, l’Indonésie, la Pologne et la Serbie faisaient partie des dix premiers clients de la Région wallonne en termes de valeurs de licences. En 2019, ces trois pays se sont vus octroyer des licences aux montants relativement faibles par rapport à l’année 2018 : 17 licences pour la Pologne pour un montant de 4 340 327 EUR (-89 %), 8 licences vers l’Indonésie pour 7 543 482 EUR (-89 %) et 2 licences pour la Serbie pour un montant de 25 644 EUR (-99 %). À l’inverse, des destinations ont connu une très forte croissance de la valeur des licences octroyées. Parmi elles, on retrouve notamment Oman (+3 894 %), la Thaïlande (+1 810 %) et le Canada (+4 236 %). Ces trois destinations font partie des dix principaux pays destinataires des licences d’armes de la Région wallonne en 2019, hors Union européenne (Tableau 1). En outre, on peut noter la très forte progression de la valeur des licences octroyées vers l’Inde (+710 %) et le Pakistan (+600 %). Pour information, l’Inde a toujours été un des plus gros importateurs d’armes au monde[5]. En effet, l’Inde cherche à moderniser et à mieux équiper ses armées en raison des menaces potentielles venant de la Chine et du Pakistan, notamment dans la région du Cachemire, et de son désir de s’imposer comme une puissance régionale, rivalisant avec la Chine voisine[6].

Tableau 1. Top 10 des destinataires hors Union européenne des licences d’exportation wallonnes en 2019 (en EUR courants)[7]

Source : GRIP, 2020, d’après le Rapport sur les exportations wallonnes sur l’année 2019.

Par ailleurs, on notera que la majeure partie de ces licences ont été délivrées à destination d’acteurs privés (896 licences), dont 75 % vers des pays européens (660 licences). Les 403 licences restantes ont été délivrées à destination de gouvernements. Selon le Rapport Armes, la progression du nombre de licences accordées à des acteurs privés internationaux « démontre la mondialisation du secteur “Défense” et la mise en place progressive de grands groupes internationaux »[8].

Licences octroyées vers des destinations sensibles

Les exportations d’armes de la Région wallonne se font également vers des pays dits « sensibles ». Un pays semble être considéré comme « sensible » si les équipements militaires exportés sont susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne, de violation des droits humains, d’agressions internationales, ou de contribuer à l’instabilité régionale. Par exemple, la Région wallonne « n’octroie plus aucune licence d’exportation pour du matériel militaire qui pourrait être susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne en Égypte »[9]. Pour l’année 2019, les destinations sensibles discutées par le COARM, le groupe de l’Union européenne chargé des questions ayant trait aux contrôles des exportations d’armes conventionnelles, étaient l’Arabie saoudite, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, l’Égypte, l’Inde[10], l’Ouganda, le Pakistan, la Russie, la Turquie, l’Ukraine et le Yémen[11].

La Région wallonne analyse chaque demande de licence vers les pays « sensibles » au cas par cas, à travers l’agence Wallonie-Bruxelles International, qui analyse la demande au regard des critères du décret wallon de 2012 et de la Position commune. Lorsque le cas requiert une « attention particulière », la région dépose le dossier auprès de la Commission d’avis, chargée d’émettre un avis de légalité sur l’octroi de ces licences. Par exemple, la Commission d’avis avait émis en 2019 un avis négatif pour une demande de licence de l’entreprise Mecar, à destination de l’Arabie saoudite « compte tenu de la situation dans laquelle se trouve l’Arabie saoudite »[12].

Au cours de l’année 2019, la Commission d’avis s’est réunie à 7 reprises et a analysé 192 dossiers considérés comme « très sensibles », soit 55 % de dossiers de moins par rapport à l’année 2018 (435 dossiers considérés comme « très sensibles » en 2018)[13]. Des licences ont toutefois été octroyées vers des pays « sensibles » pour l’année 2019 : l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Inde, le Pakistan et la Turquie. Par ailleurs, trois licences d’exportation ont été refusées, deux à destination de l’Arabie saoudite pour un montant de 2 870 000 EUR et une vers les Philippines d’une valeur de 231 758 EUR.

Tableau 2. Licences octroyées par la Région wallonne vers des « pays sensibles »

Source : GRIP, 2020, d’après le Rapport sur les exportations wallonnes sur l’année 2019.

En octobre 2019, le Ministre-président Elio Di Rupo s’exprimait au sujet des licences octroyées à destination de la Turquie, précisant que les licences accordées concernaient « pour la grande majorité le programme européen Airbus A400M, et pour le reste, des pièces envoyées en Turquie à des entreprises privées pour des opérations de maintenance, et réimportées en Belgique »[14]. En outre, le Ministre-président a assuré « n’avoir octroyé aucune licence définitive [depuis son entrée en fonction le 13 septembre 2019] à destination des Émirats arabes unis » principalement en raison de la violation par ce pays de l’embargo à l’égard de la Libye[15].

Équipement militaire exporté par la Région wallonne en 2019

En 2019, la Région wallonne a accordé 698 licences portant sur du matériel ML1 (Armes à feu portatives et pièces détachées), principalement à destination des pays de l’Union européenne (367) et du continent américain (270). À l’instar de l’année 2018, les licences pour du matériel de type ML1 restent la catégorie la plus représentée en nombre de licences accordées, puis viennent les licences pour du matériel concernant des avions militaires et pièces détachées (ML10, 235 licences), et pour des munitions et composants (ML3, 110 licences.). Ces licences sont le plus généralement exécutées par les compagnies FN Herstal (détenue à 100 % par la Région wallonne), Forges de Zeebrugge (filiale de Thalès) et Mecar (filiale du groupe Nexter)[16].

En termes de valeur des licences accordées, les montants les plus importants portent sur du matériel ML6 — tanks, véhicules blindés et pièces détachées (1 796 893 916 EUR). Ce montant très élevé s’explique par une licence à destination du Canada à hauteur de 1 795 000 000 EUR. Des licences pour du matériel de type ML3 ont également été octroyées pour un montant total important (343 805 421 EUR), ce qui représente une augmentation de 959 % par rapport à l’année 2018 (32 460 810 EUR). Cela est notamment dû aux licences accordées à destination de l’Arabie saoudite pour 301 980 878 EUR (7 licences). La part importante consacrée au matériel de type ML4 — roquettes et explosif — provient de deux licences accordées à l’Inde pour 148 500 000 EUR.

Les avions militaires et pièces détachées (ML10) sont la troisième catégorie la plus importante en termes de valeur de licences octroyées avec 235 licences équivalentes à un montant total de 117 258 534 EUR. Les entreprises wallonnes particulièrement actives dans la production et l’exportation de ce type de matériel sont Alcatel-Lucent Bell, Techspace Aero et Sonaca[17].

Graphique 3. Répartition en pourcentages de la valeur totale de chaque ML parmi les licences accordées en 2019

Source : GRIP, 2020, d’après le Rapport sur les exportations wallonnes sur l’année 2019.

Quelle légalité des exportations d’armes ?

L’Arabie saoudite 

Le Rapport Armes 2019 semble de nouveau montrer la forte dépendance des entreprises wallonnes par rapport aux pays du Moyen-Orient, avec deux des plus importants clients de l’année 2019, Oman et l’Arabie saoudite, situés dans cette région. Pourtant, les exportations d’armes vers les pays de cette région du monde et notamment vers l’Arabie saoudite ont récemment fait polémique, du fait de la participation de Riyad dans la guerre au Yémen.

Entre 2006 et 2018, la Région wallonne a autorisé l’exportation directe d’armes vers l’Arabie saoudite pour un montant proche de 2,7 milliards d’euros[18]. Entre 2018 et 2019, les exportations de la Wallonie en termes de valeur de licences accordées ont augmenté de 33 % (de 225 709 829 à 302 005 878 EUR). Bien que deux licences à destination du Royaume saoudien aient été refusées en 2019, l’Arabie saoudite reste le principal importateur de la région Moyen-Orient et représente près de 91,2 % des exportations wallonnes vers cette partie du monde. À cela, il faut ajouter les exportations de Tanks, véhicules blindés et pièces détachées (ML6) vers le Canada. En effet, ces licences concernent principalement les tourelles-canons produites par John Cockerill (ex-CMI) pour équiper des véhicules blindés de la firme General Dynamics Land Systems (GDLS) destinés à l’Arabie saoudite[19].

Tableau 3 :  Licences d’exportation d’armes accordées par la Région wallonne pour l’Arabie saoudite selon le Rapport Armes de la Région wallonne

Source : GRIP, 2020, d’après les Rapports sur les exportations wallonnes pour les années 2014-2019.

Les exportations d’armes vers l’Arabie saoudite ont été fortement critiquées ces dernières années, tant sur la scène internationale que par la société civile, notamment en raison de l’implication du royaume saoudien dans la guerre au Yémen. En février 2020, le Ministre-président de la Région wallonne, Elio Di Rupo, avait annoncé que la Wallonie ne vendrait plus d’armes à l’armée de l’air saoudienne, du fait de son implication dans le conflit yéménite[20]. Questionné au sujet des autres licences accordées, le Ministre-président a soutenu que « les produits pour lesquels des licences ont été octroyées sont destinés à la garde royale et à la garde nationale d’Arabie saoudite » et par conséquent « destinés à protéger les membres de la famille royale et les sites emblématiques ou à protéger les frontières saoudiennes »[21]. Pourtant, les récents recours auprès du Conseil d’État belge viennent remettre en question la légalité de ces exportations d’armes au vu du décret wallon de 2012. En effet, une première décision du Conseil d’État en juin 2019 venait annuler huit licences d’exportation d’armes pour l’Arabie saoudite à la demande de la Ligue des droits humains et de la CNAPD[22]. Le 9 mars 2020, le Conseil d’État suspendait à nouveau 17 licences d’exportations d’armes à la suite d’une requête en extrême urgence soumise par la CNAPD, la Ligue des droits humains et Vredesactie. Ces suspensions de licences concernaient les firmes FN Herstal, John Cockerill et Mecar[23]. Le Conseil d’État a suspendu ces licences sur la base qu’il existe « un réel risque que les armes visées… soient utilisées dans le cadre d’un conflit au Yémen ou qu’elles contribuent à une répression interne »[24].

Si les exportations d’armes vers l’Arabie saoudite semblaient désormais proscrites en raison de ces décisions du Conseil d’État, la Région wallonne a octroyé six nouvelles licences à destination de Riyad en avril et juillet 2020[25]. De nouveau, les ONG ont déposé un recours en urgence auprès du Conseil d’État qui a suspendu les licences concernant du matériel de type ML1 et destiné à la Garde nationale. Quant aux licences accordées pour du matériel ML6 — dans le cadre du contrat entre John Cockerill et GDLS — celles-ci ont pu être exécutées sur la base du fait que la « Garde royale n’était pas engagée dans les combats au Yémen »[26]. En septembre 2020, les ONG ont déposé un recours en annulation (pour confirmer la suspension) auprès du Conseil d’État concernant les licences octroyées en avril et juin 2020[27].

La décision finale du Conseil d’État est toujours attendue, mais il est raisonnable de penser que les exportations d’armes vers l’Arabie saoudite par la Wallonie sont en contradiction avec les obligations découlant de l’adoption de la Position commune et du décret wallon de 2012. D’une part, plusieurs de ces armes exportées ont donné lieu à des enquêtes prouvant leur utilisation directe dans le conflit yéménite. En février 2019, une enquête menée par Arab Reporters For Investigative Journalism révélait que des armes wallonnes (FN Minimi) avaient été retrouvées aux mains de milices armées affiliées à Al-Qaïda dans la péninsule arabique[28].

Quelques mois plus tard, l’enquête #BelgianArms confirmait que des armes produites en Région wallonne — notamment des fusils d’assaut FN F2000, des tourelles-canons John Cockerill et des munitions Mecar de 90 mm — étaient utilisées pour la guerre au Yémen[29].

D’autre part, les instances de l’ONU et de l’Union européenne continuent de rappeler aux États que les exportations d’armes vers les pays engagés au Yémen constituent une violation des engagements pris pour le respect des droits humains dans le monde. En septembre 2020, le groupe d’experts internationaux au Yémen, mandaté par les Nations unies, estimait que les pays tiers qui continuent à fournir des armes aux parties au conflit « au mépris flagrant des comportements documentés de violations graves du droit international humanitaire et du droit des droits humains dans le conflit à ce jour[…] manquent à leur responsabilité d’assurer le respect du droit international humanitaire, et que certains États pourraient violer leurs obligations au titre du Traité sur le commerce des armes. En outre, un tel soutien peut constituer une aide et une assistance à des actes internationalement illicites en violation du droit international »[30]. En parallèle, le Parlement européen a adopté le 11 février 2021 une résolution qui « souligne que les exportateurs d’armes établis dans l’UE qui alimentent le conflit au Yémen ne respectent pas plusieurs critères de la position commune 2008/944/PESC du Conseil, juridiquement contraignante, concernant les exportations d’armes » et « répète son appel en faveur d’une interdiction à l’échelle de l’Union de l’exportation, de la vente, de la mise à jour et de l’entretien de toute forme d’équipement de sécurité aux membres de la coalition, notamment l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, compte tenu des graves violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme commises au Yémen »[31].

Le Mexique

Depuis 2010, la Wallonie a octroyé 114 licences d’exportation vers le Mexique, pour un montant total de 106 550 852 EUR[32]. Le 28 janvier 2020, Vice publiait une enquête sur les ventes d’armes européennes qui contribueraient à la guerre contre la drogue au Mexique[33]. Pour la Belgique, ce sont principalement les exportations de la FN Herstal, qui sont mises en cause. La dernière enquête de Forbidden Stories, en lien avec Le Soir, révèle que la FN Herstal a envoyé au moins 8 367 armes (principalement de type ML1) vers le Mexique entre 2008 et 2019[34]. Plus spécifiquement, l’enquête souligne l’opacité des destinataires finaux de certaines de ces livraisons — plus de 200 armes à feu auraient été « délivrées aux polices municipales et fédérales du Mexique sans l’approbation du gouvernement wallon ». En outre, au moins 130 armes FN ont été retrouvées sur des scènes de crime au Mexique[35]. En réponse, le Ministre-président a assuré que les licences octroyées vers le Mexique « font l’objet d’analyses de la Commission d’avis sur la base des différents critères de la Position commune de l’Union européenne. Les licences… ne sont destinées qu’à l’armée mexicaine et non à la police »[36].

Conclusion

Les rapports de la Région wallonne sont perçus comme une garantie de transparence et une volonté de la part du gouvernement de se soumettre au contrôle démocratique du parlement et de la société civile. Toutefois, leur publication tardive (parfois plus d’un an après l’année concernée) permet rarement au parlement « d’assurer sa mission de contrôle et d’interpellation » et d’évaluer les décisions d’octroi de licences d’exportation en fonction du développement de la situation géopolitique et humanitaire[37].

Notons que les parlementaires devraient avoir l’occasion de débattre à propos des exportations d’armes et des licences octroyées de manière plus régulière via les rapports quadrimestriels présentés à la sous-commission de contrôle des licences d’armes du Parlement wallon[38]. Or, en date du 25 janvier 2021, aucun des trois derniers rapports quadrimestriels pour 2020 n’avait encore été présenté au Parlement wallon[39]. De plus, ni les rapports quadrimestriels ni les comptes-rendus de réunion de la sous-commission ne sont ouverts au public.

Davantage de détails devraient également être fournis concernant les exportations réelles d’armes, d’autant plus que selon le Ministre-président, « il est difficile de comparer les chiffres de la Banque nationale et ceux de notre rapport annuel sur les armes »[40]. Enfin, il est important de souligner que la nouvelle note de politique internationale de la Région wallonne ne mentionne pas une seule fois la politique future du gouvernement en termes d’octroi des licences d’armes, un point soulevé au Parlement wallon et pourtant resté sans réponse de la part du gouvernement[41]. Ces différents angles morts du contrôle des exportations d’armes de la Région wallonne doivent être abordés, d’autant plus que certaines destinations — comme l’Arabie saoudite, la Turquie ou le Mexique — demandent un examen approfondi au vu de leur situation politique interne et de leur politique internationale.

L’auteure

Claire Zutterling a été assistante de recherche au GRIP jusqu’en janvier 2021.

[1]. CLAUSTRE Julie, Valeur des licences en hausse, l’Arabie saoudite reste n°1 : décryptage du Rapport annuel 2018 sur les exportations d’armes wallonnes, Éclairage du GRIP, 26 mars 2020.

[2]. Région wallonne, « Rapport au Parlement wallon sur l’application du Décret du 12 juin 2012 relatif à l’importation, au transfert, à l’exportation et au transit d’armes civiles et de produits liés à la défense, Rapport annuel 2019 », sans date, p. 52.

[3]. Le Rapport Armes 2014 soulignait « qu’une seule licence pour un montant de 3 233 200 000 euros fausse tous les résultats » pour l’année, car celle-ci concernait un « contrat sur une durée de 15 ans ». Région wallonne, « Rapport au Parlement wallon sur l’application du Décret du 12 juin 2012 relatif à l’importation, au transfert, à l’exportation et au transit d’armes civiles et de produits liés à la défense, Rapport annuel 2014 » décembre 2015, p. 51.

[4]. JACQMIN Denis et STIERNON Christophe, Rapports de la Région wallonne sur les exportations d’armes : Incomplets, trop rares et trop tardifs, Éclairage du GRIP, 21 août 2017.

[5]. SIPRI, « The state of major arms transfers in 8 graphics », 22 février 2017.

[6]. SHARA Ashok, « Why is India still the world’s largest arms importer?  », The Conversation, 15 avril 2014.

[7]. Les chiffres cités par le Rapport Armes concernent uniquement des licences définitives. Région wallonne, « Rapport au Parlement wallon sur l’application du Décret du 12 juin 2012 relatif à l’importation, au transfert, à l’exportation et au transit d’armes civiles et de produits liés à la défense, Rapport annuel 2019 », sans date, p. 49.

[8]. Région wallonne, « Rapport au Parlement wallon sur l’application du Décret du 12 juin 2012 relatif à l’importation, au transfert, à l’exportation et au transit d’armes civiles et de produits liés à la défense, Rapport annuel 2019 », sans date, p. 52.

[9]. Parlement de Wallonie, « Les atteintes aux droits humains en Égypte », Réponse du Ministre-président Di Rupo à Hélène Ryckmans, 2 juin 2020.

[10]. Quant à l’Inde, si elle peut être considérée comme une destination à risque, c’est notamment dû au conflit dans la région du Jammu et Cachemire qui s’est considérablement aggravé depuis que l’Inde a révoqué son statut de région autonome le 5 août 2019 : PEDROLETTI Brice, « Le gouvernement indien révoque l’autonomie du Cachemire », Le Monde, 5 aout 2019; « Droits humains : des experts de l’ONU dénoncent une « situation alarmante » au Cachemire indien », Le Figaro, 4 août 2020. À cela s’ajoute le conflit ouvert dans cette région avec le Pakistan et plus récemment, avec la Chine, dans la zone frontalière du Ladakh. En outre, le régime de Narendra Modi, a été à plusieurs fois dénoncé pour la dégradation des droits humains dans le pays : Amnesty International, « Amnesty International Inde suspend ses activités en matière de droits humains en Inde en raison de représailles de la part du gouvernement », 29 septembre 2020.

[11]. Région wallonne, « Rapport au Parlement wallon sur l’application du Décret du 12 juin 2012 relatif à l’importation, au transfert, à l’exportation et au transit d’armes civiles et de produits liés à la défense, Rapport annuel 2019 », sans date, p. 14.

[12]. Parlement de Wallonie, « L’officialisation d’une seconde vague de licenciements chez Mecar », Réponse du Ministre-président Di Rupo à une question d’actualité de Sophie Pécriaux, 9 octobre 2019.

[13]. Région wallonne, « Rapport au Parlement wallon sur l’application du Décret du 12 juin 2012 relatif à l’importation, au transfert, à l’exportation et au transit d’armes civiles et de produits liés à la défense, Rapport annuel 2019 », sans date, p. 23.

[14]. Parlement de Wallonie, « La vente d’armes à la Turquie », Réponse du Ministre-président Di Rupo à deux questions orales de Christophe Bastin et Hélène Ryckmans, 21 octobre 2019.

[15]. Parlement de Wallonie, « Les ventes d’armes aux Émirats arabes unis », Réponse du Ministre-président Di Rupo à Hélène Ryckmans, 15 juin 2020

[16]. CLAUSTRE Julie, Valeur des licences en hausse, l’Arabie saoudite reste n°1 : décryptage du Rapport annuel 2018 sur les exportations d’armes wallonnes, Éclairage du GRIP, 26 mars 2020.

[17]. Ibidem.

[18]. STIERNON Christophe, Ventes d’armes à l’Arabie saoudite: complicité de crime de guerre ?, Éclairage du GRIP, 20 janvier 2016; Amnesty International, Observatoire des armes wallonnes, troisième édition, 26 mai 2020.

[19]. BINNIE Jeremy, « New Saudi LAVs to come with Cockerill turrets », Jane’s Defence Weekly, 10 janvier 2016.

[20]. LEFÈVRE François-Xavier, « La Wallonie ne vendra plus d’armes à l’armée de l’air saoudienne », L’Echo, 6 février 2020.

[21]. Parlement de Wallonie, « Les ventes d’armes à l’Arabie saoudite », Réponse du Ministre-président Di Rupo à Hélène Ryckmans, 17 février 2020.

[22]. Le Soir, « Nouveau coup d’arrêt pour les exportations d’armes wallonnes », 15 juin 2019.

[23] .Conseil d’État, « Arrêt n° 247.259 », 9 mars 2020.

[24]. Conseil d’État, « Licences d’exportation d’armes et de matériel lié à la défense vers l’Arabie saoudite », 9 mars 2020.

[25]. MATRICHE Joël, « Recours en urgence contre de nouvelles licences d’exportation d’armes wallonnes à l’Arabie Saoudite », Le Soir, 16 juillet 2020.

[26]. Conseil d’État, « Arrêt n°248.129 », 7 août 2020.

[27]. BERKENBAUM Camille, « Un nouveau recours au Conseil d’Etat concernant les armes belges livrées à l’Arabie saoudite », L’Echo, 14 septembre 2020.

[28]. Arab Reporters for Investigative Journalism, « The End User: How did western weapons end up in the hands of ISIS and AQAP in Yemen? », 28 février 2019.

[29]. #BelgianArms est une enquête à partir d’informations disponibles en libre accès menée par Knack, Le Soir et la VRT, appuyée par les médias indépendants Lighthouse Reports et Bellingcat. MATRICHE Joël, « Enquête : des armes fabriquées en Wallonie tuent au Yémen », Le Soir, 8 mai 2019.

[30]. Human Rights Council, « Situation of human rights in Yemen, including violations and abuses since September 2014 », 28 septembre 2020.

[31]. Parlement européen, « Résolution du Parlement européen du 11 février 2021 sur la situation humanitaire et politique au Yémen », 11 février 2021.

[32]. Région wallonne, « Rapport Armes », rapports 2010-2019.

[33]. EVELEIGH Robin, « European Gun Makers Are Quietly Supplying the Mexican Drug Wars », Vice, 28 janvier 2020.

[34]. MATRICHE Joël et RUECKERT Phineas, « Projet Cartel: des armes de la FN sur des scènes de crime au Mexique », Le Soir, 9 décembre 2020.

[35]. Ibidem.

[36]. Ibidem.

[37]. CLAUSTRE Julie, Valeur des licences en hausse, l’Arabie saoudite reste n° 1 : décryptage du Rapport annuel 2018 sur les exportations d’armes wallonnes, Éclairage du GRIP, 26 mars 2020.

[38]. Région wallonne, « Déclaration de politique régionale pour la Wallonie 2019-2024 », 9 septembre 2019, p. 20-21.

[39]. Parlement de Wallonie, « Le contrôle des exportations d’armes au niveau européen », Réplique de Christophe Bastin au Ministre-président Di Rupo, 25 janvier 2021.

[40]. Parlement de Wallonie, « La troisième édition de l’Observatoire des armes wallonnes », Réponse du Ministre-président Elio Di Rupo à une question Orale de Christophe Bastin, 15 juin 2020.

[41]. Parlement de Wallonie, «La note de politique internationale du gouvernement wallon», Remarques de Christophe Bastin au Ministre-président Di Rupo, 12 octobre 2020.