Crédit photo de couverture : Aankomst F-35 Leeuwarden-1, 31 octobre 2019, © magazines.defensie.nl, via Wikimédia Commons. Aankomst f35 op leeuwarden.

L’objectif de l’Union européenne (UE) de développer son « autonomie stratégique » a été officiellement proclamé en 2013 par la Commission européenne dans une communication intitulée « Vers un secteur de la défense et de la sécurité plus compétitif et plus efficace. » La position qui y est défendue est que l’UE a besoin « d’un certain degré d’autonomie stratégique », c’est-à-dire « d’être en mesure de décider et d’agir sans dépendre des capacités de tiers […][pour] assumer ses responsabilités pour la défense de sa propre sécurité ainsi que de la paix et de la stabilité internationales. » Pour ce faire, la Commission insiste sur le fait que l’UE et ses États membres doivent s’affranchir des formes de dépendance extérieure en matière de capacités militaires et s’en remettre à l’industrie de défense européenne pour la fourniture des armements. Ainsi, la notion d’« autonomie stratégique européenne » rejoint l’objectif de développer et renforcer la production d’équipements militaires au sein de l’UE via la consolidation de la base industrielle et technologique de défense européenne (BIDTE).

S’ils n’ont pas toujours été clairement assumés, ces buts ne sont pas nouveaux. Ils avaient déjà conduit à l’adoption du paquet défense de l’UE en 2008. La méthode est cependant différente, notamment du fait de la dimension budgétaire. À compter de 2016, la Commission va en effet proposer la mise en place de plusieurs dispositifs visant à soutenir financièrement le renforcement de la BIDTE en puisant dans une partie du budget communautaire. Ces instruments, qui se succèdent entre 2017 et 2023, doivent assurer un soutien financier à l’industrie de défense à tous les échelons : de la recherche collaborative en matière de défense, aux projets de développements de technologies et d’équipements conjoints, en passant par le renforcement des capacités de production, jusqu’aux acquisitions conjointes de matériels militaires européens. Autrement dit, au sens des institutions de l’UE, le renforcement de la BIDTE implique de concevoir, de produire et d’acheter des produits de défense « made in EU ».

Comme le reflètent les conclusions et déclarations adoptées par le Conseil européen depuis 2021, les États membres s’accordent également sur la nécessité de renforcer les capacités industrielles et de défense de l’Union pour parvenir à une meilleure autonomie de décision et d’action. Réunion après réunion, les dirigeants européens n’ont d’ailleurs eu de cesse de rappeler que des efforts supplémentaires devaient être consentis pour soutenir la BIDTE. Depuis 2017, les discours tant des institutions que des États de l’UE sur l’autonomie stratégique européenne témoignent clairement d’un enthousiasme envers les dispositifs destinés à renforcer la BIDTE et à réduire les dépendances aux approvisionnements extérieurs.

Pourtant, les choix opérés même encore récemment par les pays européens en matière d’approvisionnement en armes conventionnelles majeures ne s’inscrivent pas en ce sens. Les données du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) révèlent que pour la période 2019-2023, la majorité des États de l’UE s’est principalement tournée vers les États-Unis pour acquérir des systèmes d’armes ; lorsqu’ils ne se fournissaient pas auprès de leurs industries nationales respectives. Parallèlement à tous ces discours sur une nécessaire autonomie stratégique — et de manière très paradoxale, la domination américaine dans les importations d’armes des États européens a rarement été aussi importante que lors des cinq dernières années. C’est dans ce contexte que cette Note d’analyse examine les facteurs expliquant l’importance des acquisitions d’armements américains par les pays européens lors de la dernière période quinquennale.

À cette fin, le texte procède en quatre étapes. La première consiste à illustrer le renforcement de la domination américaine sur les marchés européens d’armements ces cinq dernières années. La seconde étape revient sur les raisons de l’attractivité des systèmes d’armes américains. Elle considère l’impact de la livraison en Europe des premiers avions de combat F-35 Lightning II et son poids parmi les facteurs explicatifs de la hausse des importations européennes d’armes américaines. La troisième étape replace les décisions d’achats en armes des pays européens dans le contexte de l’invasion russe de l’Ukraine, débutée en février 2022. Elle met en lumière que l’augmentation des importations européennes d’armements américains est également une conséquence de la guerre en Ukraine qui est venue souligner à la fois les faiblesses capacitaires de la BIDTE et la domination de l’industrie de défense des États-Unis lorsqu’il devient nécessaire pour les États membres de l’UE de s’équiper en systèmes d’armes éprouvés. Cette dimension se trouve renforcée par les garanties de sécurité qu’offrent les États-Unis par le biais de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), garanties dont l’importance a été revigorée par le conflit en Ukraine. Enfin, la quatrième étape revient sur les critiques formulées en 2019 par les États-Unis à l’égard des premières initiatives européennes de défense et aux réactions qu’elles ont suscitées. À travers cette démarche, le texte invite à ne pas écarter la possibilité que l’objection américaine et le climat d’incertitude qu’elle crée quant à l’avenir de la relation transatlantique aient pu amener certains pays de l’UE à s’approvisionner prioritairement en armes auprès de fournisseurs américains.