En 2017, les États membres de l’Union européenne (UE) ont mis en place de nouvelles politiques pour renforcer leurs engagements dans le domaine de la sécurité et de la défense. Parmi les plus importantes figure la Coopération structurée permanente (ou en anglais Permanent Structured Cooperation PESCO)[1]. Il s’agit d’un dispositif intergouvernemental comprenant 25 pays membres de l’UE, axé sur le développement capacitaire et opérationnel, et qui repose sur une approche volontaire et modulaire[2]. Le principal objectif étant de constituer une base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne, les membres de l’UE visent à limiter la participation d’autres États au sein de ses nouvelles politiques de défense.

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Ce nouvel élan pour la défense européenne n’est cependant pas accueilli avec enthousiasme à l’extérieur de l’UE, particulièrement aux États-Unis[3]. Craignant de voir ses industriels de l’armement écartés du marché européen, l’Administration Trump a fait pression pour que les projets devant participer au développement capacitaire européen soient le plus possible ouverts aux pays tiers[4]. En plus de sécuriser des retombées économiques, l’objectif de Washington est de faire en sorte que les Européens ne renforcent pas leurs capacités industrielles au détriment des firmes américaines. En d’autres termes, l’Administration américaine craint que les pays membres de l’UE acquièrent moins d’équipements américains et qu’à long terme les industriels européens ne deviennent des compétiteurs des entreprises étatsuniennes sur les marchés d’exportation.

Le lobbying américain semble porter ses fruits tant les Européens apparaissent aujourd’hui divisés entre, d’une part, les partisans d’une plus grande ouverture et, d’autre part, ceux qui plaident pour que la PESCO ne s’organise qu’autour de ses 25 membres[5].

Les divergences en termes de culture stratégique et d’intérêts industriels entre les États membres de l’UE n’ont pas permis d’établir le consensus nécessaire à l’établissement d’un cadre définissant les modalités de participation des pays tiers.

Néanmoins, un compromis semble progressivement prendre forme, bien que de nombreuses questions restent en suspens. Les critères d’éligibilité pour les acteurs industriels, les problématiques liées aux droits de propriété intellectuelle, à la sécurité d’approvisionnement ou aux contrôles sur l’usage, la reproduction ou l’exportation de capacités développées au sein de la PESCO n’ont toujours pas été clarifiés. Ces zones d’ombres doivent être éclaircies afin qu’un compromis définitif puisse garantir l’efficacité des coopérations à venir et la réussite de la PESCO dans son ensemble, c’est-à-dire, notamment permettre à l’UE de renforcer ses capacités en matière de défense.

Cet éclairage analyse les principaux défis et enjeux liés à la participation des pays tiers au sein de la PESCO. Tout d’abord, nous exposons les objectifs et le système de gouvernance de l’initiative. Ensuite, nous analysons sous quelles conditions cette participation doit se faire. Enfin, les procédures d’adhésion et de suspension pour les pays tiers et leurs différentes implications seront examinées.

Les objectifs de la PESCO et son système de gouvernance

La PESCO est un dispositif de coopération intergouvernemental inclusif qui permet à ses différents membres de se joindre à une variété de projets capacitaires en fonction de leurs besoins[6]. L’initiative a pour objectif de remédier « aux lacunes en termes de capacités liées au niveau d’ambition de l’Union et aux objectifs et priorités de la politique de sécurité et de défense commune » (Annexe I  Principe de la CSP)[7], à travers le développement de projets capacitaires et opérationnels en matière de défense. Ce dispositif doit renforcer la compétitivité des firmes européennes productrices d’armements par le biais d’une optimisation des dépenses, d’une réduction des doublons et d’une harmonisation des demandes nationales en équipements militaire, pour qu’à terme les pays de l’UE puissent agir ensemble de façon autonome sur le plan militaire[8].

L’identification des priorités et des possibilités de coopération sera établie sur base du plan de développement des capacités (Capability Development Plan — CDP) réalisé par l’Agence européenne de défense et de la revue annuelle coordonnée en matière de défense (Coordinated Annual Review on Defence — CARD). La gouvernance de la coopération est quant à elle établie par l’annexe III de la décision du Conseil du 11 décembre et de la décision du Conseil du 25 juin 2018. La direction générale est assumée par le Conseil en format PESCO[9] qui fixe l’orientation politique générale, les grands objectifs, et veille à ce que l’efficacité et la cohérence de ce dispositif soient garanties. C’est également cet organe qui assure que les règles, les conditions et engagements auxquels ces États membres ont souscrits soient respectés (Annexe II)[10].

Les participants aux différents projets de la PESCO, quant à eux, définissent à l’unanimité les obligations et buts communs qu’ils veulent établir dans le cadre de leurs partenariats. Ils peuvent déterminer la forme de la participation de chaque adhérent, le mode de réglementation des éventuels litiges et les conditions selon lesquelles une suspension peut être décidée.

Une participation des pays tiers assujettie aux objectifs de l’UE

Le dernier projet de compromis arrêté par les États membres au sujet de l’association des pays tiers à la PESCO reprend pour l’essentiel des critères déjà transcrits dans les textes-cadres de la coopération structurée. Certains principes sont réaffirmés sans pour autant que soient précisés les modalités de leur mise en pratique. En l’état actuel des choses, les pays tiers ne pourront qu’exceptionnellement être invités par les États membres parties à participer à un projet. Les pays tiers devront apporter « une valeur ajoutée substantielle » (Annexe III, article 2.2.1[11]) au programme et contribuer à l’ambition générale de la PESCO. Ils devront ainsi démonter qu’ils disposent d’une expertise, c’est-à-dire d’un savoir-faire technique, industriel ou opérationnel, complémentaire à ceux des autres membres participants. Ces pays doivent également à travers leur participation renforcer la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) et adhérer aux principes de l’article 2 du traité sur l’UE en matière de « respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’Homme, y compris des droits de personnes appartenant à des minorités »[12]. Par ailleurs, les pays tiers associés seront dépourvus de pouvoir décisionnel au sein de la PESCO.

Les États membres adhérents à la PESCO sont toutefois en désaccord sur certains points. Ils ont des intérêts divergents et des craintes quant à la participation de certains États, ce qui explique pourquoi un accord n’a toujours pas été trouvé. D’un côté, la France et dans une moindre mesure l’Espagne veulent s’assurer que leurs industries de défense joueront un rôle moteur dans le développement capacitaire européen. Ces nations veulent limiter l’accès des États-Unis et du Royaume-Uni dont les industries de défense sont parmi les plus compétitives du marché.

D’un autre côté, les pays baltes, la Pologne, les Pays-Bas et la Suède veulent une PESCO plus inclusive, c’est-à-dire s’ouvrant à d’autres partenaires comme les États-Unis, le Royaume-Uni ou la Norvège. La position de ces pays est conforme à la conception atlantiste de la sécurité européenne qui fait des États-Unis le principal acteur de la défense du Vieux Continent. Elle découle aussi des particularités des BITD nationales des pays qui ont parfois un tissu productif fortement arrimé aux acteurs anglo-saxons (la Suède, mais aussi l’Italie, par exemple). Ces États semblent redouter qu’une PESCO trop exclusive vienne désorganiser leurs chaînes d’approvisionnement et engendre une perte de compétitivité de certains de leurs acteurs industriels.

Les pays membres s’accordent néanmoins sur le fait que la participation d’une tierce partie ne doit pas constituer une entrave à la pérennité des projets et au libre usage des capacités développées au sein de la PESCO ; que ce soit en amont, lors de la phase de développement et de construction, ou en aval, lors de l’exportation desdites capacités ou de leur déploiement sur des théâtres d’opérations. En ce sens, des modalités sont à prévoir afin que les tierces parties ne puissent, pour quelque motif que ce soit, ni nuire à la sécurité d’approvisionnement ni limiter l’utilisation des armements ou leur vente sur les marchés d’exportation.

La réglementation américaine sur le trafic d’armes au niveau international (ITAR) est particulièrement visée. Ce régime réglementaire a pour objectif de contrôler l’exportation de certaines technologies de défense américaines afin de préserver la sécurité nationale et les intérêts commerciaux des États-Unis. Une quantité de services et d’articles sont couverts par l’ITAR[13], notamment les composants, l’équipement associé, l’électronique, les données techniques, la formation et l’entraînement. Par conséquent, tout article réglementé par cette norme doit faire l’objet d’une demande d’autorisation auprès des États-Unis, afin d’être conçu, produit, exporté ou utilisé. Les membres de la PESCO veulent s’assurer que les filiales américaines implantées en Europe ne tombent sous le coup de cette réglementation dans le cas où ils participeraient à un projet de la coopération structurée.

Les procédures d’adhésion et de suspension

Bien qu’un accord n’ait toujours pas été trouvé au sein du Conseil en raison des divergences susmentionnées, un texte du 4 novembre 2019 semble faire converger les positions sur certains critères d’adhésion et de suspension[14].

Il y est précisé que pour adhérer à la PESCO, les pays tiers devront premièrement soumettre leur candidature au coordinateur du projet auquel ils veulent participer. Chaque candidature devra notamment mentionner les motivations qui conduisent l’État en question à vouloir s’associer à un programme spécifique. Une présentation détaillée devra mentionner la nature de la contribution, expliquer comment cette dernière concourt à la réalisation du projet et enfin préciser la façon dont le candidat rencontre les conditions et objectifs généraux de la PESCO. La candidature est ensuite évaluée et doit faire l’objet d’un vote favorable à l’unanimité auprès des membres du projet concerné pour passer à l’étape suivante.

Au cours de la deuxième étape, le Conseil analyse la candidature et décide à l’unanimité, en format PESCO, si le pays tiers va se joindre à l’initiative. Une fois cette dernière étape franchie, un arrangement administratif doit être conclu entre l’État tiers et les autres participants au projet faisant mention des droits, obligations, répartition des rôles, modalités en matière de financement et autres relatives à la gestion du projet de même que des conditions autorisant la suspension de la participation. Une fois adhérent au projet, le pays tiers est tenu de respecter les engagements et obligations de nature contraignantes auquel il a souscrit[15].

Cette participation peut cependant être révoquée si un ou plusieurs des 25 membres de la PESCO jugent que des conditions définies en amont ont été transgressées. Ces griefs sont exposés auprès des pays membres du projet auquel participe le pays tiers concerné. Les États parties doivent ensuite effectuer une évaluation endéans les deux mois et en informer le Conseil en format PESCO dans le cas d’un avis défavorable. Ce dernier déterminera ultérieurement à l’unanimité du maintien ou de la révocation de la participation du pays tiers[16].

La dernière version du compromis indique néanmoins que les États parties aux différents projets encadrés par la PESCO détermineront les arrangements liés aux « clauses de responsabilité, de sécurité, de publication et d’utilisation des informations [et] de règlement des litiges »[17]. Ceci laisse un grand pouvoir discrétionnaire aux États parties aux différents projets et aussi aux pays tiers. En effet, cette étape intervient lors de la signature de l’arrangement administratif, bien après que le Conseil ait validé la participation d’un tiers État. Les tractations autour des questions d’export, de propriété intellectuelle, de litiges entre partenaires et de libre usage seront vraisemblablement tranchées en petit comité à l’abri du regard du Conseil.

La PESCO ressemblera plus à un agrégat de projets capacitaires entre groupes d’États qu’à un mécanisme de coopération muni d’une cohérence globale, partagée et assurée par le Conseil. Les groupes de partenaires des différents programmes auront probablement des politiques d’exportations et de droit d’usage différenciées et ceci pourrait écorner la crédibilité de l’UE, voire contrevenir aux principes fondamentaux et à la politique étrangère qu’elle entend défendre. La PESCO incarne un nouvel élan pour la défense européenne, mais il ne faut pas s’y tromper, sa cohérence est assujettie aux bons vouloirs des États participants.

Conclusion

La participation des pays tiers a beaucoup fait débat au cours des derniers mois, notamment en raison des pressions exercées par l’Administration américaine auprès des pays de l’UE. Ce travail d’influence a dévoilé au grand jour les désaccords entre membres de la PESCO quant à la participation des pays tiers. Les intérêts industriels de chaque nation sont au centre de ces divergences. Le défi posé par l’extraterritorialité des normes américaines ITAR est cependant commun à l’ensemble des membres.

Pour l’heure aucune modalité n’a encore fait l’objet d’un consensus au sein du Conseil pour dénouer l’impasse posée par ce dispositif américain. Il se peut même que la question ne soit jamais tranchée et qu’elle soit laissée aux membres de chacun des différents projets.

Ce faisant, les 25 États membres de la PESCO bénéficierait à renforcer le rôle du Conseil au sujet des questions d’exportation, de fabrication et de libre-usage des équipements développés en son sein, de manière à doter l’initiative d’une vision plus cohérente.

Auteur

Victor Mahieu est assistant de recherche au GRIP, sous la direction de Federico Santopinto, spécialiste de la politique extérieure de l’UE en matière de prévention et de gestion des conflits, ainsi qu’en matière d’intégration européenne dans le domaine de la défense.

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[1]. L’autre initiative majeure est le Fonds européen de la défense, un mécanisme de type communautaire codirigé par la Commission européenne, qui doit cofinancer avec ses États membres des projets centrés sur la recherche et l’innovation ainsi que sur le développement en équipements de défense à partir de 2021.

[2]. La PESCO se veut inclusive et flexible. Ces membres doivent au minimum se joindre à un projet et peuvent s’associer à d’autres programmes capacitaires en fonction de leurs besoins.

[3]. Daniel Fiott, « The poison pill, EU defence on US terms? », European Union Institute for Security Studies, juin 2019.

[4]. Federico Santopinto, « Défense européenne : l’accès des pays tiers au FEDEF », Note d’Analyse du GRIP, 23 mars 2020, p.11.

[5]. Le Danemark a une clause d’exemption en matière de défense au sein de l’UE. Malte veut voir comment la PESCO évolue afin qu’elle ne contrevienne pas à son principe constitutionnel de neutralité. Le Royaume-Uni quant à lui n’a pas notifié sa participation en vue du Brexit.

[6]. Frédéric Mauro et Federico Santopinto, « La Coopération structurée permanente : perspectives nationales et état d’avancement », Parlement européen, 17 juillet 2017.

[7]. Conseil de l’Union européenne, Décision (PESC) 2017/2315 du Conseil du 11 décembre 2017 établissant une coopération structurée permanente et fixant la liste des États membres participants [Décision 2017/2315], Journal officiel de l’Union européenne, L 331/57, 11 décembre 2017.

[8]. Les partenaires du projet d’avion de transport militaire A400M, ont fait des demandes industrielles très spécifiques et diverses en fonction des besoins et systèmes utilisés par leurs différentes forces aériennes. Ceci a compromis l’optimisation des coûts de production et les rendements d’échelle.

[9]. Lorsque le Conseil aborde des thématiques liées à la PESCO, seuls ses 25 pays membres prennent part au vote.

[10]. Op. cit., Annexe II.

[11]. Op. cit., Annexe III, art 2.2. 1.

[12]. Traité sur l’Union européenne (version consolidée), Journal officiel de l’Union européenne,
C 326/13, 26 octobre 2012.

[13]. Federico Santopinto, op. cit., p. 9.

[14]. Gros-Verheyde Nicolas, « La participation des pays tiers à la PESCO : les principales dispositions du projet de texte », Bruxelles2, 11 novembre 2019.

[15]. Ibid.

[16]. Ibid.

[17]. Ibid.