Le Burundi traverse une crise politique majeure depuis que le président Pierre Nkurunziza a décidé de solliciter un troisième mandat début avril 2015. Selon l’ONU, au moins 400 personnes ont été tuées et 220 000 autres ont trouvé refuge dans les pays voisins entre avril et décembre 2015[1]. Dès le début de cette crise, l’Union africaine (UA) a exprimé sa détermination à assumer pleinement ses responsabilités, en tant que garante de l’Accord de paix et de réconciliation d’Arusha (2000), dont le but est de garantir la paix et la démocratie au Burundi[2]. À plusieurs reprises, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA a rappelé sa préoccupation face aux menaces sérieuses que la situation faisait peser sur la paix et la sécurité au Burundi, mais aussi pour les implications graves qu’elle pouvait avoir sur la région. À la suite de la recrudescence des violences en novembre et en décembre 215, le CPS avait voté le 17 décembre l’envoi d’une force de 5 000 hommes, sous le nom de Mission africaine de prévention et de protection au Burundi (MAPROBU)[3], dans le but de restaurer la stabilité et l’État de droit dans le pays.

Cependant, le gouvernement burundais s’était déclaré hostile au déploiement de la MAPROBU, menaçant de la considérer comme « une force d’invasion et d’occupation », et se réservant « dans ce cas, le droit d’agir en conséquence »[4]. Par conséquent, le CPS avait décidé le 29 janvier 2016 de surseoir à toute intervention militaire dans l’immédiat, choisissant de privilégier le dialogue politique inclusif[5]. En effet, l’UA a été claire sur ce point, l’idée d’envoyer des troupes sans le consentement du gouvernement burundais est mise de côté tant qu’il n’y a pas d’intensification des violences armées. Dans le cas contraire, l’UA avisera. C’est bien ce qu’Idriss Déby Itno, chef d’État tchadien et nouveau président de l’UA, a affirmé en marge de la réunion : « Nous avons donné une chance au Burundi et au président Nkurunziza de résoudre cette crise. Nous souhaiterions que cela soit réglé par un dialogue avec une initiative du président burundais. Mais nous surveillons de très près. Nous ne pourrons pas accepter que la situation dégénère. Auquel cas, l’Union africaine interviendra militairement »[6].

Lors de cette réunion du 29 janvier, le CPS avait également décidé de dépêcher une délégation de haut niveau au Burundi, avec mandat de consulter le gouvernement ainsi que d’autres acteurs burundais sur le dialogue inclusif et sur les conditions d’un éventuel déploiement de la MAPROBU. La délégation, menée par le président sud-africain Jacob Zuma, s’est rendue à Bujumbura du 25 au 26 février.

Les pourparlers entre la délégation et le gouvernement burundais n’ont cependant pas abouti sur un accord de déploiement de la MAPROBU, mais plutôt sur le déploiement de cent observateurs des droits de l’homme et cent experts militaires afin de surveiller la situation au Burundi[7]. S’agissant du dialogue inclusif, la délégation de haut niveau a aussi décidé de rencontrer l’opposition en exil, et a invité « toutes les parties prenantes à la crise burundaise à prendre part au dialogue, sans préconditions »[8]. Par « préconditions », l’UA faisait entre autre allusion au CNARED[9], la principale plateforme d’opposition, que le gouvernement burundais accuse d’être derrière les violences armées[10] et refuse de voir assise à la table de négociation. Malgré cette pression, Bujumbura a réaffirmé son refus d’inclure le CNARED dans le dialogue. L’UA ne semble pas avoir posé de délais contraignants quant à la reprise d’un dialogue entre les parties, ce qui laisse donc ouverte la question d’un déploiement des forces sans l’accord du gouvernement si celui-ci continue à refuser de prendre part au dialogue « inclusif » et si les violences venaient à s’aggraver.

La légalité d’une intervention militaire de l’UA sans le consentement du Burundi

Le déploiement des troupes dans un État membre est régi par l’article 4 de l’Acte constitutif de l’Union africaine adopté en 2000. L’article reconnaît « le droit de l’Union d’intervenir dans un État membre sur décision de la Conférence, dans certaines circonstances graves, à savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l’humanité » (art. 4 (h)) et « le droit des États membres de solliciter l’intervention de l’Union pour restaurer la paix et la sécurité » (art. 4 (j))[11]. L’Acte constitutif de l’UA est ainsi le premier traité d’une organisation régionale à énoncer un tel droit d’intervention dans les affaires intérieures des États-nations. L’article 4 ne précise pas que l’État concerné doit solliciter ou approuver l’intervention, mais bien « des États membres », c’est-à-dire la majorité des 2/3 de l’Assemblée des chefs d’États et de gouvernement[12]. L’UA pourrait donc déployer la MAPROBU sans l’accord du gouvernement burundais, si elle réussit à recueillir l’approbation des 2/3 des États membres de l’Assemblée.

Outre ce consensus, l’UA aurait besoin de l’accord des Nations unies pour déployer des troupes au Burundi. Depuis décembre, l’ONU a déjà affirmé son soutien à la MAPROBU via plusieurs déclarations. Cependant, au-delà de ces déclarations de « bonnes intentions », l’UA nécessite aussi le vote affirmatif du Conseil de sécurité de l’ONU, qui ne s’est pas encore prononcé sur la question[13].

Si toutes ces conditions juridiques étaient satisfaites, cela voudrait-il dire que l’UA serait prête à intervenir militairement sans l’accord du gouvernement burundais ? Ce scénario reste peu probable et sans précédent. En effet, bien que l’UA soit déjà intervenue militairement en 2008 aux Comores – dans le but de chasser le colonel Mohamed Bacar, président autoproclamé de l’île d’Anjouan – contrairement au cas du Burundi, c’est bien le gouvernement central des Comores qui avait pressé l’organisation d’intervenir afin de mettre fin à cette crise sécessionniste[14]. Le déploiement de la MAPROBU contre la volonté du gouvernement burundais serait donc une première dans l’histoire de l’Organisation. De plus, étant donné la réaction défavorable des autorités burundaises, intervenir au Burundi exposerait l’UA au risque de basculer de la position d’arbitre à celle de partie au conflit. Ce basculement pourrait compliquer une situation déjà très fragile et complexe, ce que les dirigeants africains semblent vouloir éviter. Ainsi, le 31 janvier, Dr. Augustine Mahiga, ministre des Affaires étrangères tanzanien, s’est prononcé contre le déploiement de la MAPROBU, estimant que le déploiement de troupes sans l’accord du gouvernement burundais aggraverait la situation et réduirait les chances de réussir une médiation[15]. La Tanzanie s’était montrée en faveur du déploiement de la MAPROBU début janvier, avant de se rétracter début février, prônant une approche diplomatique plutôt qu’une intervention militaire.

Un consensus politique difficile à obtenir

Ces craintes et changements de position nous amènent au troisième défi : le consensus politique des 2/3 des États membres de l’UA. Ceux-ci seraient il prêts à voter en faveur d’une intervention si la situation venait à se dégrader au Burundi ? Entre les intérêts internes et régionaux de chaque État membre, trouver un consensus sur une question si délicate est assez difficile. Prenons l’exemple de la Tanzanie et de l’Afrique du Sud, qui ont toutes deux une influence importante dans la région. Ces deux pays ont eu ces dernières années des différends diplomatiques avec le Rwanda en raison de son présumé soutien à la rébellion du M23 en République démocratique du Congo. La Tanzanie et l’Afrique du Sud voient donc le Burundi comme un contrepoids à l’influence régionale du Rwanda, qu’ils ne veulent donc pas voir déstabilisé[16].

Outre la divergence des intérêts des puissances régionales, de nombreux chefs d’État sont réticents à créer un précédent en matière d’intervention militaire dans un pays qui s’y oppose clairement. En effet, ce précédent pourrait s’avérer dangereux pour les chefs d’État, qui se retrouveraient dans une situation similaire à celle de Nkurunziza. Comme l’a déclaré le président gambien Yahya Jammeh, dont le régime est régulièrement critiqué par les défenseurs des droits de l’homme pour les violations des libertés, « Il n’y a pas que les Burundais qui sont réticents à cette idée ». À la question : « Êtes-vous opposé au déploiement de cette force au Burundi ? », le président gambien a répondu : « sans l’accord du Burundi, oui »[17]. L’Égypte et la Guinée équatoriale se sont également prononcées contre. Un autre élément qui pourrait peser sur la position des États membres est l’engagement de leurs troupes déjà déployées dans les différentes missions de paix à travers le continent.

Quels pays seraient prêts à participer en envoyant leurs troupes ?

Lors de sa décision du 17 décembre, l’UA avait chargé la Force est-africaine en attente (EASF), une des composantes régionales de la Force africaine en attente (FAA), d’apprêter les troupes pour un éventuel déploiement au Burundi. Créée en 2004, l’EASF regroupe dix pays contributeurs de troupes dont le Burundi, l’Éthiopie, le Kenya, le Rwanda et l’Ouganda. Cependant, alors qu’aucun État membre de l’EASF ne s’est encore déclaré prêt à envoyer des troupes, la plupart semblent attendre la fin des négociations entre l’UA et Bujumbura. C’est le cas notamment du Kenya et de l’Ouganda qui semblent désireux de garder leur neutralité, dans l’espoir d’une sortie de la crise par la médiation. Seul le Rwanda a indiqué clairement qu’il n’enverrait pas de troupes sur le sol burundais. En effet, fin décembre, Paul Kagame a annoncé que son pays ne prendrait pas part militairement à cette intervention, mais pourrait toutefois contribuer d’une autre manière à la mission de paix. Les tensions diplomatiques entre Kigali et Bujumbura sont sûrement à l’origine de cette position. En effet, les autorités burundaises ont accusé Kigali de soutenir des groupes rebelles burundais en facilitant notamment le recrutement et l’entraînement de ceux-ci sur son sol. Ces accusations ont été rejetées par le Rwanda, mais confirmées par un rapport de l’ONU[18]. Reste enfin le cas de la RDC, autre voisin du Burundi : Joseph Kabila, réputé proche du président Pierre Nkurunziza, ne s’est pas encore prononcé sur la question[19].

Un déploiement peu probable

Au regard des derniers développements, la crise semble tendre vers un statu quo, une sorte de conflit de basse intensité. L’aggravation des violences est donc aujourd’hui peu probable. Cependant, si la situation venait à se dégrader, l’échec de la reprise d’un dialogue inclusif et substantiel pourrait laisser une ouverture à un déploiement d’une force militaire au Burundi. Toutefois, bien qu’il soit juridiquement possible que l’UA déploie la MAPROBU sans le consentement du gouvernement, le consensus politique resterait un grand obstacle.

En effet, les États membres du CPS se sont déjà montrés réticents à l’idée d’intervenir militairement dans un État membre sans son consentement les 29 et 31 janvier. Surmonter les intérêts internes et régionaux de chaque État membre pour arriver au consensus des 2/3 reste un défi important.

Au-delà de ces questions juridiques, une autre interrogation importante que pose un possible déploiement est celle du mandat de la MAPROBU. Étant donné que l’UA et le gouvernement burundais ont déjà convenu fin février de déployer une mission d’observation au Burundi, l’UA attribuerait probablement un mandat plus robuste à la MAPROBU. Cette mission serait-elle alors une force de maintien de la paix, une force de désarmement ou une force de protection ? Selon le cas de figure, qui faudra-t-il désarmer? Qui faudra-t-il protéger ? Voilà autant de questions qui devront être envisagées dans le cas d’une intervention militaire au Burundi.

L’auteure

Maureen Sibomana est chercheure-stagiaire au GRIP dans l’axe « Conflits, sécurité et gouvernance en Afrique » et titulaire d’un Master en relations internationales.

Crédit photo :  AMISOM/Mission de l’Union africaine en Somalie

 

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pdf La Maprobu : défis d’un déploiement des forces de l’UA au Burundi

 


[1]. Selon les derniers chiffres de l’ONU de décembre 2015.

[2]. Voir aussi Plauchut Agathe, « Burundi : quel avenir pour les acquis d’Arusha ? », Note d’Analyse du GRIP, 24 juillet 2015, Bruxelles.

[3]. Communiqué de la 565e réunion du CPS sur la situation au Burundi, Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, 17 décembre 2015.

[5]. Communiqué de la 571e réunion du CPS au niveau des chefs d’État et de Gouvernement sur la situation au Burundi, Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine,  6 février 2016.

[7]. Outre les 200 observateurs prévus par l’UA, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une resolution le 1er avril priant le Secrétaire général, Ban Ki-moon, de lui présenter « des options dans les 15 jours », en vue du déploiement d’une présence de police onusienne au Burundi. Le gouvernement burundais a accepté la proposition, déclarant que la présence de l’organisation permettrait au gouvernement de « travailler en transparence ».

[8]. Communiqué de la visite de la délégation de Haut Niveau de l’Union africaine au Burundi, Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, 29 février 2016.

[9]. Conseil national pour le respect de l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi et de l’État de droit.

[10]. Le 13 mai 2015, une tentative de coup d’État militaire a eu lieu durant le séjour du président Nkurunziza à Addis-Abeba où il assistait à une réunion consacrée à la crise politique burundaise.

[11]. Acte Constitutif de l’Union africaine, 11 juillet 2000.

[13]. Il semblerait que les États membres du Conseil de sécurité soient divisés sur la question du Burundi. Entre autres, la Chine et la Russie, membres permanents du Conseil, soutiendraient le gouvernement burundais.

[14]. Alors que Mohamed Bacar avait pris le pouvoir à la suite d’un coup d’État en 2001, l’UA avait dirigé une opération militaire de l’île d’Anjouan, conjointement avec l’armée nationale comorienne, dénommée « l’Opération démocratie aux Comores », dans le but de réinstaurer l’autorité du gouvernement central comorien sur cette île.

[15]. « Dar reiterates support for ICC »Daily News, 17 février 2016.

[16]. D’ailleurs, lors de la visite précitée, le chef de la haute délégation de l’Union africaine, le président Jacob Zuma a choisi de passer une nuit de plus dans la capitale burundaise, alors que tous ses collègues étaient repartis, et en aurait profité pour rencontrer en tête-à-tête le président Pierre Nkurunziza, présenté comme un ami.

[18]. Rapport confidentiel du groupe d’experts des Nations unies datant du 15 janvier 2016.

[19]. Outre les positions divergentes des acteurs régionaux et l’hostilité du gouvernement burundais, la MAPROBU est également confrontée à un problème de confiance de la part de l’opposition burundaise qui voit en la Tanzanie, la RDC et l’Afrique du Sud des alliés importants de Nkurunziza.