Depuis 2020, la politique israélienne traverse une phase d’instabilité. En 2021, afin de contrer l’omniprésence d’un Netanyahou accusé de corruption, une alliance réunissant des partis de plusieurs horizons politiques naît. En juin 2022, victime de ses ambitions hétéroclites parfois contradictoires, cette coalition tombe et de nouvelles élections sont organisées en octobre 2022. De celles-ci émerge un nouveau gouvernement avec Netanyahou à sa tête. Il comprend des partis de droite, mais il s’ouvre aussi à l’extrême droite et aux idéologies néo-sionistes[1], nationalistes et ultra-orthodoxes. Cette nouvelle coalition est rapidement qualifiée par la presse comme étant « la plus à droite de l’histoire israélienne[2] ». Les partis extrémistes qui la constituent, Otzma Yehudit (Force Juive) et HaTzionut HaDatit (Parti sioniste religieux) ont décroché 14 sièges sur 120 à la Knesset. Cela peut sembler peu, mais ces sièges ont été déterminants pour la création d’une majorité gouvernementale par Netanyahou. Ils sont suffisants pour éventuellement faire tomber le gouvernement si ses actions ne leur donnent pas satisfaction. En d’autres termes, ces partis d’extrême droite détiennent la balance du pouvoir ce qui leur permet notamment d’imposer la mise en place de leur politique coloniale.

Dans leurs discours et programmes électoraux, ces partis ont en effet plaidé pour un renforcement de la politique israélienne de colonisation[3] et pour un durcissement des mesures à l’encontre des Palestiniens. Leurs dirigeants, Itamar Ben Gvir, à la tête du Parti Force juive, et Bezalel Smotrich chef de file du Parti sioniste religieux, font régulièrement les titres de la presse israélienne pour leurs actions et leurs déclarations radicales. Ils ont pourtant été nommés ministres au sein de ce nouveau gouvernement. Leur prépondérance sur la scène politique israélienne pose la question de leur poids sur les futures politiques coloniales d’Israël en Cisjordanie.

Cet Éclairage a justement pour objectif de montrer l’influence de ces partis sur la politique israélienne de colonisation des territoires palestiniens de Cisjordanie conduite par le gouvernement Netanyahou VI.

Le texte procède en trois étapes. Dans la première, il analyse comment le projet colonial israélien sera mis en place et accéléré par les partis dont sont issus Ben Gvir et Smotrich, de par leur nouveau poste de ministres. La seconde étape revient sur les accords de coalition afin de mettre en évidence les mesures coloniales que les partis au pouvoir entendent développer durant leur mandat. La troisième étape recense les principales mesures que la coalition a déjà mises en place et qui démontrent une réelle accélération de la colonisation israélienne en Cisjordanie.

  1. Deux extrémistes s’arrogeant des ministères sur mesure

Le 29 décembre 2022, les chefs de file des partis extrémistes Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich arrivent au gouvernement. Comprendre qui sont ces deux hommes, leurs rôles au sein du gouvernement, leurs principes, et en quoi ils représentent un nouvel électorat israélien, permet d’appréhender ce que leur arrivée au pouvoir signifie pour la politique israélienne de colonisation.

Le parti Force juive dont Ben Gvir est à la tête a été créé en 2011 par Michael Ben Ari et par Aryeh Eldad[4]. Tout comme Ben Gvir, Michael Ben Ari était membre du parti politique Kach[5]. En 1994, cet ancien parti est interdit en Israël, car il est considéré comme terroriste. Son leader, Meir Kahane, prônait notamment la déportation de tous les Palestiniens hors de la Terre sainte et la mise en place d’une théocratie[6]. Le parti Force juive s’inscrit dans la lignée de ce positionnement jusqu’au-boutiste. Le Parti sioniste religieux a lui été fondé en 1998. Bien qu’il ne descende pas directement du parti extrémiste Kach, l’idéologie qu’il prône s’ancre dans une approche néo-sioniste, anti-arabe et suprématiste juive[7]. Son site internet revendique d’ailleurs : « Le Parti sioniste religieux croit au sionisme, au nationalisme juif, à l’unité et à l’intégrité du peuple juif et de la Terre d’Israël[8]. » Ces positions sont défendues par son actuel leader, Smotrich. La proximité idéologique entre la Force juive et le Parti sioniste religieux les poussent à s’allier à plusieurs reprises pour les élections[9]. En septembre 2022, ils déclarent ainsi qu’ils ne présenteront qu’une liste pour les élections d’octobre 2022[10].

Ces partis reposent sur 11 % de l’électorat israélien, et sur 14 % de l’électorat juif, qui penche de plus en plus vers l’extrême droite de l’échiquier politique[11]. Cette tendance tire notamment son origine dans le changement de mentalité d’une partie de la jeunesse israélienne qui n’a pas connu les accords d’Oslo et qui n’a vécu que les tensions et les affrontements depuis sa naissance. De plus en plus de jeunes Israéliens sont aussi nés dans les colonies où ils ont été éduqués avec des manuels scolaires faisant la part belle aux thèses ultranationalistes. Beaucoup de jeunes deviennent persuadés que les hommes comme Ben Gvir et Smotrich vont améliorer la situation des Israéliens et défendre leurs droits. L’élection de tels personnages témoigne d’un changement de paradigme dans le narratif des franges les plus jeunes de la société israélienne : Oslo ou tout autre accord de paix est bien loin, maintenant, c’est la défense de l’identité juive qui prime pour ces nouvelles générations.

Ben Gvir, à la tête du parti Force juive, est un colon et un ancien avocat[12]. Il a défendu à maintes reprises des extrémistes juifs et a lui-même été condamné plus d’une cinquantaine de fois pour violence, incitation à la haine et au terrorisme[13]. Son extrémisme transparait dans de nombreuses situations au fil des années. Il a notamment conduit l’armée israélienne à lui interdire le service militaire, pourtant obligatoire en Israël[14]. Il se fait connaître en 1995 en menaçant de mort devant les caméras Yitzhak Rabin, signataire des accords d’Oslo de 1993[15]. Par la suite, il a déclaré à de nombreuses reprises son admiration pour le terroriste Baruch Goldstein (qui a assassiné 29 Palestiniens au tombeau des patriarches d’Hébron en 1994[16]) et appelé la police israélienne à faire usage de la force létale contre les Palestiniens lançant des pierres[17].

Bezalel Smotrich n’est pas en reste. Il vivait jusqu’à son élection dans la colonie de Kedumim[18], qui se décrit elle-même comme « l’avant-garde de la réinstallation des Juifs en Samarie[19]. » En 2006, il participe à la fondation de l’ONG Regavim, dont l’activité principale, sous couvert de la protection de l’environnement et du patrimoine, consiste à engager des poursuites judiciaires afin de bloquer la construction ou détruire des bâtiments appartenant à des familles bédouines et palestiniennes[20]. En outre, tout comme son collègue Ben Gvir, Smotrich a également appelé à la déportation de la population palestinienne et plaide activement pour la ségrégation entre Juifs et Arabes, notamment dans les hôpitaux[21].

À la suite des élections de novembre 2022, les deux hommes conditionnent leur participation au gouvernement à l’octroi de portefeuilles ministériels importants et élargis leur permettant de poursuivre leur agenda néo-sioniste.

Carte 1. Les zones de partage de la Cisjordanie[1]

Source : SoWhAt249, Wikimedia Commons, 2017, dernière mise à jour en 2022.

En plus du ministère des Finances, Smotrich reçoit un poste normalement réservé à un militaire de carrière : celui de « sous-ministre » au sein du ministère de la Défense. À ce titre, et à la suite d’âpres négociations avec le Likoud, il assure désormais le commandement de l’Administration civile[22], un organe civil sous administration militaire chargé de gérer le quotidien de l’occupation dans la zone C de la Cisjordanie (voir la carte 1). Ce mandat dote Smotrich de différents pouvoirs, notamment en lien avec le droit au logement, à la terre ou encore à la propriété en territoire palestinien occupé. Ces fonctions lui permettent de poursuivre l’action de Regavim, cette fois de l’intérieur des institutions israéliennes[23].

Un autre élément est primordial afin de mieux appréhender les ambitions coloniales de ce chef de file : Smotrich a déclaré vouloir faire passer les colons établis sur les territoires palestiniens sous la juridiction civile israélienne. Auparavant, l’ensemble des territoires palestiniens occupés (les villages palestiniens tout comme les colonies israéliennes) vivaient sous la loi martiale de l’occupation. Désormais, les colons israéliens vivant en Cisjordanie sont placés sous le régime de droit commun de l’État d’Israël et dépendront, comme le reste de ses citoyens, de la juridiction israélienne. Les Palestiniens resteront, quant à eux, sous juridiction militaire d’occupation[24]. Comme l’indique Louis Imbert, correspondant à Jérusalem pour le journal Le Monde, Smotrich ambitionne en fait d’« effacer la distinction de droit (…) entre le territoire national et les territoires occupés[25]». Cette situation équivaudrait à une annexion de certaines parties de la Cisjordanie, ce qui a été dénoncé par de nombreux médias[26].

Ben Gvir hérite quant à lui du ministère de la Sécurité intérieure, augmenté de nouvelles compétences négociées spécialement pour lui. Le ministère est même rebaptisé à sa demande « ministère de la Sécurité nationale. » Comme le souligne Nitzan Perelman, doctorante en sociologie politique à l’Université Paris Cité, ce changement de nom n’est pas anodin. Il doit être compris dans le cadre de la loi sur l’État-nation du Peuple juif adoptée en 2018. Cette loi introduit une distinction entre les notions et les droits associés à la « citoyenneté » et à la « nationalité », la seconde ne pouvant être attribuée qu’aux citoyens de confession juive[27]. La nouvelle appellation du ministère entend ainsi mettre en exergue le critère religieux. Le message sous-jacent est que la sécurité dont va s’occuper Ben Gvir n’est pas celle de tous les citoyens israéliens, mais bien prioritairement celle de la population juive.

Ben Gvir a par ailleurs conditionné son entrée au gouvernement à l’augmentation de sa juridiction sur la police. Le 28 décembre 2022, un amendement à l’ordonnance sur la police[28] est adopté par la Knesset afin de permettre au nouveau ministre de définir les priorités et les politiques de la police. Il s’occupera maintenant de la police, tant israélienne que cisjordanienne des frontières, laquelle s’occupe entre autres de la répression des manifestations qui se déroulent en territoire palestinien occupé[29]. Cet amendement a été critiqué par l’ancien ministre de la Défense, Benny Gantz, car il ne fixe pas de véritables limites aux pouvoirs du ministre. Bien que Ben Gvir soit toujours limité par le cadre administratif de la police, il a maintenant plus de pouvoir sur les actions de la police puisque c’est à lui de dicter les orientations et les politiques générales de celle-ci[30].

  1. Des accords de coalition reflétant les agendas néo-sionistes

L’idéologie néo-sioniste défendue par Ben Gvir et Smotrich a, sans surprise, pesé sur le contenu de l’accord de coalition. Si l’ensemble du programme gouvernemental est de mauvais augure pour le respect des droits humains de la population palestinienne, les dispositions relatives à la colonisation sont particulièrement préoccupantes.

Fin décembre 2022, le gouvernement Netanyahou VI présente les lignes directrices de sa politique. La première est que : « Le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur toutes les parties de la Terre d’Israël, en Galilée, dans le Néguev, dans le Golan et en Judée et Samarie[31]. » Si cette première posture du gouvernement donne déjà le ton, l’analyse des accords de coalition permet de mieux comprendre comment le gouvernement entend concrétiser cette priorité politique clairement affichée. On y trouve trois mesures symptomatiques du durcissement de la politique coloniale.

La première, issue des tractations entre le Likoud et le Parti sioniste religieux, est l’établissement d’un plan quinquennal afin d’étendre les colonies. Les accords ne contiennent aucun détail quant aux mesures concrètes envisagées dans ce cadre. Ils précisent simplement que le plan sera élaboré par le ministère des Missions nationales et par la Direction de l’implantation qui, pour ce faire, recevront un budget spécifique jusque 2027[32]. Il est néanmoins établi que les colonies auparavant illégales aux yeux d’Israël doivent être légalisées. L’accord précise en effet que :

« Une décision du gouvernement sera prise pour ratifier les anciennes colonies qui existent depuis des décennies, et pour réglementer tous les sites des jeunes colonies dans un délai de 18 mois, au cours duquel les procédures visant à apporter une réponse à l’ensemble des problèmes de la jeune colonie seront achevées ; entre autres, s’occuper d’une connexion humanitaire aux infrastructures d’eau et d’électricité, aux bâtiments publics nécessaires et à d’autres infrastructures essentielles[33]. »

L’extrait précise que les colons recevront un accès qualifié d’« humanitaire » aux infrastructures de base comme l’eau et l’électricité. Cette démarche s’inscrit dans une stratégie mise en place dernièrement par l’État d’Israël. Dans un reportage diffusé par la chaîne de télévision Arte en septembre 2021[34], le journaliste Stéphane Amar montre la façon dont l’installation de ces infrastructures, jumelées à un coût de la vie plus bas dans les colonies, a conduit à l’installation de nouveaux citoyens israéliens en Cisjordanie. En facilitant l’accès à des « infrastructures essentielles » dans les colonies, le gouvernement cherche en fait à attirer de nouveaux citoyens. L’arrivée de ces nouveaux habitants, n’appartenant pas aux franges les plus radicales de la société, permet une forme de normalisation de  la colonisation.

Une seconde mesure que la coalition entend mettre en œuvre est l’augmentation des terres agricoles israéliennes sur les territoires palestiniens occupés au travers de mécanismes de « dons de terres » aux fermiers juifs pour « préserver les terres de la Nation[35] ». À cet égard, les accords de coalition précisent que le développement agricole est une « valeur sioniste[36]», un « moyen de préservation de la terre [37]», et plaide pour l’exploitation agricole des terres colonisées. Le gouvernement s’engage a ainsi soutenir une forme de colonisation par l’agriculture, stratégie déjà largement utilisée par les colons[38].

Enfin, une troisième mesure développée par les accords de coalition concerne le statut de Jérusalem. Annexée par Israël à la suite de la guerre de 1967, cette partie de la ville est encore actuellement considérée par la communauté internationale comme faisant partie des territoires palestiniens occupés[39]. La deuxième ligne directrice des priorités du gouvernement israélien affirme que « le gouvernement s’efforcera de renforcer le statut de Jérusalem[40], » ville qu’il considère comme la capitale d’Israël. L’accord de coalition avec le Parti sioniste religieux affirme que l’objectif du gouvernement sera de consolider la gouvernance israélienne sur l’ensemble de la ville[41]. Dans le passé, la consolidation de la gouvernance juive sur Jérusalem s’est souvent traduite par des destructions des maisons palestiniennes et par le déplacement de leurs habitants laissés sans abri[42]. Si les autorités suivent la même politique, les quartiers à majorité palestinienne risquent petit à petit d’être détruits et remplacés par des maisons israéliennes.

  1. Des mesures gouvernementales conformes aux prescriptions colonialistes

Depuis janvier 2023, le gouvernement israélien a multiplié les mesures contribuant directement ou indirectement à l’accélération de la colonisation. Sa prise de pouvoir débute par un coup de force symbolique : le 3 janvier, soit à peine quatre jours après l’entrée en fonction de la coalition, Ben Gvir se rend sur l’Esplanade des Mosquées. Cet événement revêt une dimension symbolique[43]. Non seulement l’Esplanade est devenue un des emblèmes du droit à l’autodétermination du peuple palestinien, mais elle se trouve officiellement sous la protection du Waqf de Jérusalem — organisme chargé de l’administration des lieux saints musulmans — contrôlé par la Jordanie. Sur base des Accords de Wadi-Araba conclus entre Israël et Aman en 1994, les non-musulmans n’ont accès à ce lieu qu’à des horaires restreints et ont l’interdiction d’y prier[44]. En tant que député à la Knesset, Ben Gvir avait déjà appelé à la remise en cause de ce statu quo. Sa visite en qualité de ministre de la Sécurité nationale, accompagné d’un imposant service de sécurité, revient à une forme d’affirmation de la souveraineté israélienne sur le site[45]. Ce coup de force symbolique indique le ton et la direction adoptés par le nouveau gouvernement israélien. Les nouvelles mesures qu’il a établies, des nouvelles lois sur l’autorisation et la régulation de colonies en passant par la réforme judiciaire et la marginalisation de la Cour Suprême, témoignent d’un renforcement clair des politiques coloniales mises en place par les nouvelles autorités israéliennes.

En effet, s’il venait à être entièrement adopté, le médiatisé et contesté projet de réforme judiciaire pourrait avoir un impact sur la colonisation[46]. Annoncée le 5 janvier et portée par Yariv Levin, membre du Likoud et nouveau ministre de la Justice, cette réforme est vue par les colons ultranationalistes comme une opportunité de limiter le pouvoir de la Cour suprême[47]. En l’état, une des mesures de la réforme priverait la Cour d’une partie de son rôle de garante du respect des Lois fondamentales (qui servent de Constitution à Israël). La Knesset pourrait faire revoter des lois légalisant des colonies annulées par la Cour à une majorité de 61 votes sur 120[48]. Bien que la Cour soit loin de s’être systématiquement opposée aux colonies, les franges extrémistes de la société israélienne (dont Force juive et le Parti sioniste religieux) la voient comme un obstacle à la réalisation du projet de « Eretz Israel », correspondant à l’extension de l’État d’Israël à l’ensemble de la Judée et de la Samarie[49]. Cette clause de la réforme judiciaire a été suspendue par le gouvernement de Netanyahou depuis juin 2023.[50]

Au-delà du projet de réforme judiciaire, des lois autorisant l’établissement de nouvelles colonies et constructions israéliennes en Cisjordanie ont été adoptées dès le mois de février. Entre janvier et juin 2023, la construction de 13 082 unités de logement a été approuvée[51]. À titre de comparaison, ce chiffre était de 3 645 en 2021 et de 4 427 en 2022. En à peine six mois, le nombre de nouveaux logements autorisés pour 2023 correspond presque au triple de celui des années précédentes.[52]

Un autre espace risque d’être touché par un nouveau projet de colonisation : la zone E1, située entre la colonie de Ma’ale Adumim et Jérusalem-Est. Ce nouveau plan comprend la construction de 3412 logements et a une signification particulière pour l’instauration d’un futur État palestinien. Le territoire palestinien serait, en effet, coupé en deux d’ouest en est. Les liaisons entre Ramallah, Jérusalem-Est et Bethléem deviendraient impossibles pour les Palestiniens et toute solution à deux États deviendrait alors irréalisable[53].

La Knesset a également procédé à la régularisation de dix avant-postes, c’est-à-dire d’installations illégales de colons sur des terres qui ne font pas partie des colonies officiellement reconnues par Israël[54]. Ce faisant, les autorités légitiment cette forme de colonisation « sauvage » et une politique du fait accompli : le gouvernement n’a « plus qu’à » reconnaitre une colonie existant dans les faits[55]. De manière générale, ces légalisations sont justifiées en arguant que l’avant-poste n’est qu’un nouveau quartier de la colonie « officielle » la plus proche, ce, même s’il se situe à plusieurs kilomètres de là. Les avant-postes sont, en outre, souvent placés de telle façon à entraver l’accès des villages palestiniens aux terres agricoles adjacentes qui leur appartiennent. Les avant-postes et leur légalisation ne privent donc pas uniquement les Palestiniens du territoire sur lequel les colons sont effectivement établis, mais les coupent même de leurs moyens de subsistance[56].

Enfin, la nuit du 21 au 22 mars 2023, le parlement israélien a procédé à la révision de la Loi de désengagement de 2005. Cette loi interdit la présence de civils israéliens et la construction de colonies dans la bande de Gaza et au nord de la Cisjordanie. Les amendements permettent à nouveau aux civils israéliens de se rendre dans le nord de la Cisjordanie, notamment dans les colonies démantelées de Homesh, Su-Nur, Ganim et Kadim[57]. Ceci aura des conséquences importantes au niveau local comme international. En effet, depuis 2005, le nord de la Cisjordanie n’entre plus dans aucune négociation entre les autorités israéliennes et palestiniennes, car cette zone à forte densité palestinienne est considérée comme essentielle à toute solution de paix à deux États. La révision de la loi de 2005 ouvre la porte au retour des colons, notamment dans l’ancienne colonie d’Homesh, bastion violent des colons extrémistes[58].

Conclusion : vers l’accélération de la colonisation
et la perpétuation du cycle des violences

Cet Éclairage revient sur la question de la colonisation en l’analysant au prisme 1) des parcours et de la personnalité des leaders de Force juive et du Parti sioniste religieux, 2) des accords de coalition et 3) des premières mesures traduisant la poursuite du projet de colonisation des terres palestiniennes par Israël.

Les participations au gouvernement de Ben Gvir et Smotrich témoignent du durcissement d’une frange croissante de la société israélienne. Ces deux hommes exercent des fonctions régaliennes qui les autorisent à implanter des politiques radicales et coloniales témoignant d’un glissement vers l’extrême droite de la politique israélienne. Les premières actions qu’ils ont défendues devant le gouvernement sont symptomatiques d’une forme de banalisation de la colonisation dans les mentalités israéliennes.

Par ailleurs, les nouvelles mesures comme celle de la zone E1 risquent de couper définitivement la Palestine en deux, rendant irréalisables tant les aspirations étatiques de ce peuple que son droit à l’autodétermination. Si les précédents gouvernements dirigés par Netanyahou se sont montrés peu enclins à mettre en œuvre le plan de paix à deux États adoubé par le Conseil de sécurité des Nations unies, les actions de la coalition actuelle contribuent à l’enterrer. Sur un territoire aussi morcelé, il devient de plus en plus illusoire pour les Palestiniens d’asseoir leurs revendications territoriales.

Un des enjeux qu’amène l’approfondissement de la colonisation en zone cisjordanienne est qu’elle oriente le futur des relations entre les Palestiniens et les Israéliens vers l’aggravation des tensions et du racisme et qu’elle sème les germes d’une recrudescence de la violence et du nombre de victimes. Cette dynamique est déjà visible lorsqu’on considère l’augmentation du nombre de morts relevés cette année. En 2022, année la plus meurtrière depuis la fin de la deuxième intifada en 2005, 191 morts ont été dénombrés du côté palestinien. Entre le 1er janvier et le 24 juin 2023, OCHA, le bureau de coordination des affaires de l’ONU, a enregistré 174 victimes palestiniennes, dont 29 enfants[59]. En six mois, le nombre de morts atteint pratiquement ceux de l’entièreté de l’année 2022. Si la tendance actuelle se confirmait, elle ferait de 2023 l’année la plus meurtrière en 20 ans, soit pratiquement une génération. On doit redouter que la dérive violente observée cristallise et définisse pour longtemps aux extrêmes les positions et modes d’interaction entre Palestiniens et Israéliens.

L’auteure

Clara Laduron est assistante de recherche au GRIP. Elle est détentrice d’un Master en Relations internationales – finalité spécialisée en diplomatie et résolution des conflits – de l’Université catholique de Louvain (UCLouvain).

Notes

[1] Le néosionisme fait référence à une forme de sionisme née dans les années 1970, qui est portée majoritairement par des nationalistes et des colons israéliens. Ils défendent l’idée selon laquelle la paix est impossible si des Palestiniens ou des arabes restent sur ce qu’ils considèrent être la Terre sainte (l’actuelle Israël et la Cisjordanie). Ils revendiquent donc l’expulsion des arabes hors du pays, car pour eux il leur revient de droit par promesse biblique. Ce sioniste est considéré comme la forme la plus extrémiste du sionisme. (Voir DIECKHOFF Alain, « Israël à l’aube du 21e siècle : entre néosionisme et postsionisme », Raisons politiques, vol 3, n° 7, 2002. ; VESCOVI Thomas, « Israël : la victoire finale du néo-sionisme », Middle East Eye, 9 novembre 2022.)

[2] La rédaction d’Haaretz, « The Duty to Fight This Extremist Israeli Government », Haaretz, 29 décembre 2022 ; BARRON Robert, « For Israelis and Palestinians, a tragic spiral reemerges. Is the Holy Land seeing the beginning of a third intifada », United States Institute of Peace, 1er février 2023. ; International Crisis Group, « Israël/Palestine », Tracking Conflict Worldwide, consulté le 24 mars 2023.

[3] Pratique consistant pour une puissance occupante à transférer une partie de sa population civile dans un territoire qu’elle occupe, et/ou à déporter pour une période indéterminée tout ou une partie de la population du territoire occupé ; l’objectif étant d’y établir sa souveraineté. Définition découlant de : (1)  Quatrième convention de Genève, adoptée en août 1949 et entrée en vigueur en octobre 1950, Art. 49. ; (2) Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, adopté le 17 juillet 1998 et entré en vigueur le 1er juillet 2002, Art. 8, paragraphe 2, b, viii.

[4] HARKOV Lahav, « Eldad, Ben Ari form new party: Strong Israel », The Jerusalem Post, 13 novembre 2012.

[5] AHREN Raphael, « The extremist who could bring Kahanism back to the Knesset », The Times of Israel, 18 février 2015.

[6] La rédaction de The Economist, « Who is Itamar Ben Gvir, Israel’s kingmaker? », The Economist, 3 novembre 2022 ; ZONSZEIN Mairav, LEVY Daniel, loc. cit.

[7] ROSENBERG David E., « What Makes Israel’s Far Right Different », Foreign Policy, 30 octobre 2022.

[8] « The Religious Zionist Party believes in Zionism, Jewish nationalism, the unity and integrity of the Jewish people and the Land of Israel. », [Traduit librement de l’anglais] Site internet du Parti sioniste religieux, « Party Plateform », consulté le 20 juillet 2023.

[9] HOFFMAN Gil, « Israel elections. Netanyahou pushes Kahanist into Knesset », The Jerusalem Post, 3 février 2023.

[10] Rédaction de Times of Israel, « National Unity, Religious Zionism and Yisrael Beytenu submit final candidate lists », Times of Israel, 14 septembre 2022.

[11] LOOS Baudouin, « Israël – Extrême droite : pourquoi cette ascension irrésistible ? », Entretien avec Pascal FENAUX, Le Soir, 22 décembre 2022.

[12] KELLER-LYNN Carrie, « Knesset passes ‘Ben Gvir law,’ cementing minister’s expanded powers over police », The Times of Israel, 28 décembre 2022.

[13] VANDERBORGHT Julia, Portrait de Ben Gvir dans l’émission « Les visiteurs du Soir », LN24, 30 janvier 2023, 17min 50 à 18min 10.

[14] Intervention de PERELMAN Nitzan dans « Cultures Mondes. Israël : l’extrême droite au pouvoir », France Culture, 30 décembre 2022, 25min44 à 26min01.

[15] ZONSZEIN Mairav, LEVY Daniel, loc. cit. ; La rédaction de The Economist, loc. cit.

[16] Intervention de PERELMAN Nitzan, loc. cit., 27min15 à 28min20.

[17] ZONSZEIN Mairav, LEVY Daniel, loc. cit. ; Intervention d’Amélie Ferey dans « Cultures Mondes. Israël : l’extrême droite au pouvoir », France Culture, 30 décembre 2022, 28min50 à 29min20.

[18] Rédaction du Courrier International, « Portraits des ministres radicaux », Courrier International, n° 1684, 9-15 février, p. 28. ; Rédaction de Times of Israel, « La maison de Smotrich serait construite sur un terrain palestinien privé », The Times of Israel, 2 mars 2017.

[19] « Welcome to Kedumim », consulté le 26 avril 2023.

[20] IMBERT Louis, « Bezalel Smotrich, le colon radical qui impose sa marque au gouvernement israélien », Le Monde, 7 mars 2023.

[21] Rédaction du The Times of Israel, « Smotrich appears to post support for expulsion of Arab Israelis », The Times of Israel, 8 mars 2020.

[22] LOOS Baudouin, « L’annexion de la Cisjordanie par Israël devient une réalité », Le Soir, 9 mars 2023.

[23] KELLER-LYNN Carrie, « ‘‘I’ve done it’’: Netanyahu announces his 6th government, Israel’s most hardline ever », The Times of Israel, 21 décembre 2021. ; Intervention de PERELMAN Nitzan, loc. cit., 30min10 à 30min 58. ; LOOS Baudouin, loc. cit. ; IMBERT Louis, loc. cit.

[24] Rédaction de Haaretz, « Israel’s Cabinet just advanced full-fledged apartheid in the West Bank », Haaretz, 26 février 2023. ; LOOS Baudouin, loc. cit. ; IMBERT Louis, loc. cit.

[25] IMBERT Louis, loc. cit.

[26] RICKETT Oscar, « Une ‘‘annexion de jure ’’ : Israël confie la gouvernance de la Cisjordanie à un ministre pro-colons », Middle East Eye, 27 février 2023. ; LOOS Baudouin, loc. cit. ; Rédaction de Haaretz, loc.cit, 26 février 2023.

[27] Intervention de PERELMAN Nitzan, loc. cit., 26min10 à 27min10.

[28] Rédaction d’Adalah, « Israeli Knesset advances law subordinating the authority of the police and its leadership to the Security Minister », Adalah, 29 décembre 2022.

[29] KURTEZ-ELLEBOGEN Lucy, « What does Israel’s new government mean for the Israeli-Palestinien Conflict? », United States Institute of Peace, 5 janvier 2023 ; BREUER Eliav, « Likud, Otzama Yehudit first to sign coalition agreement », The Jerusalem Post, 27 novembre 2022.

[30] KELLER-LYNN Carrie, loc. cit., 28 décembre 2022 et 29 décembre 2022.

[31] BACHNER Michael, KELLER-LYNN Carrie, « Judicial reform, boosting Jewish identity: The new coalition’s policy guidelines », The Times of Israel, 28 décembre 2022. ; NETANYAHU Benjamin, « Voici les lignes de base du gouvernement national que je dirige (…) », Twitter, 28 décembre 2022. ; ZONSZEIN Mairav, « What’s at stake at Jerusalem’s Holy Esplanade? », International Crisis Group & U.S./Middle East Project (USMEP), 17 janvier 2023.

[32] Accord de coalition entre le Likoud et le Parti Sioniste religieux, paragraphes 123 et 135, 28 décembre 2022. ; Rédaction d’Adalah, « Adalah’s analysis of the new israeli Government’ principles and coalition agreements and their implications on Palestinians Rights », Adalah, 10 janvier 2023, p. 18.

[33] Traduction libre de l’hébreu de l’Accord de coalition entre le Likoud et le parti Force Juive, paragraphe 119, 28 décembre 2022.

[34] AMAR Stéphane,  « Israël : les routes de l’annexion », ARTE reportage, 30 septembre 2021.

[35] Ibid.

[36] Accord de coalition entre le Likoud et le Parti Sioniste religieux, paragraphes 131 et 148, 28 décembre 2022. ; Accord de coalition entre le Likoud et le parti Force Juive, paragraphe 146, 28 décembre 2022. ; Adalah, loc. cit., 10 janvier 2023, p. 8.

[37] Accord de coalition entre le Likoud et le parti Force Juive, paragraphe 146, 28 décembre 2022.

[38] KHAIRY Rabab, « Israël/Palestine. Une colonisation par l’agriculture », CNCD 11.11.11, 3 mars 2014.

[39] Rédaction d’Amnesty International « Israël/Territoires Palestiniens. 10 choses à savoir sur l’annexion », Amnesty International, 2 juillet 2020. ; Présentation de Thierry Garcin dans « Les Enjeux Internationaux. Palestine. L’Autorité Palestinienne : état des lieux et avenir », France Culture, 26 octobre 2016, 40 sec à 1min10.

[40] BACHNER Michael, KELLER-LYNN Carrie, loc. cit. ; NETANYAHU Benjamin, loc. cit.

[41]  Accord de coalition entre le Likoud et le Parti Sionist religieux, paragraphes 156-157, 28 décembre 2022. ; Adalah, loc. cit., 10 janvier 2023, p. 19.

[42] AL TAHHAN Zena, « Israel’s home demolitions a « war on nerves » for Palestinians », Al Jazeera, 14 février 2023. ; La rédaction de Middle East Monitor, « Report. Israel demolished 950 Palestinian homes in 2022 », Middle East Monitor, 29 décembre 2022. ; OCHA, « Data on demolition and displacement in The West Bank », dernière consultation le 15 juin 2023.

[43] KURTEZ-ELLEBOGEN Lucy, loc. cit.

[44] ZONSZEIN Mairav, LEVY Daniel, loc. cit. ; ZONSZEIN Mairav, loc. cit.

[45] VANDERBORGHT Julia, Portrait de Ben Gvir dans l’émission « Les Visiteurs du Soir », LN24, 30 janvier 2023, 17min 50 à 18min 10.

[46] La rédaction d’Haaretz, loc. cit., 29 décembre 2022; International Crisis Group, « Israël/Palestine », loc. cit. ; HAÏK Daniel, loc. cit.

[47] KELLER-LYNN Carrie, « ‘‘I’ve done it’’: Netanyahu announces his 6th government, Israel’s most hardline ever », The Times of Israel, 21 décembre 2021.

[48] HAÏK Daniel, loc. cit.; Adalah, loc. cit., 10 janvier 2023, p. 16. ; Intervention de FEREY Amélie et PERELMAN Nitzan , loc. cit., 34min20 à 34min40. ; Accord de coalition entre le Likoud et le Parti Sionist religieux, paragraphe 30, 28 décembre 2022. ; Accord de coalition entre le Likoud et le parti Force Juive, paragraphe 30, 28 décembre 2022.

[49] KURTEZ-ELLEBOGEN Lucy, loc. cit. ; FRIEDMAN Thomas L., loc. cit.

[50] Rédaction de France 24, « Le Parlement israélien adopte une mesure clé du projet de réforme judiciaire controversé », France 24, 11 juillet 2023.

[51] Rédaction de l’ONG Peace Now, « Record-breaking year: more than 13,000 settlement housing units promoted in the West Bank in 6 months », Peace Now, 26 juin 2023.

[52] KUBOVICH Yaniv, « Israel Approves Plans for Over 7,000 Housing Units in West Bank Settlements, Legalizing Outposts », Haaretz, 23 février 2023. ; Rédaction de l’ONG Peace Now, « The government announced the promotion of 6,000 housing units in settlements: in practice, 7,157 units were promoted, including five additional outposts », Peace Now, 19 février 2023.

[53] Rédaction de l’ONG Peace Now, « After approving thousands of housing units in settlements and outposts, the government is now promoting the E1 plans – considered deadly for the future of a Palestinian State », Peace Now, 23 février 2023.

[54] Rédaction de l’ONG Peace Now, « The Security and Political Cabinet approved the establishment of 9 new settlements by authorizing 10 illegal outposts in the Occupied Territories », Peace Now, 15 février 2023.

[55] Rédaction de l’ONG Peace Now, « Knesset passes amendment repealing Disengagement Law for northern West Bank in final vote », Peace Now, 22 mars 2023. ; Rédaction de Peace Now, loc. cit., 19 février 2023.

[56] Rédaction de Peace Now, loc. cit., 28 avril 2023. Rédaction de Peace Now, loc. cit., 15 février 2023.

[57] Rédaction du Le Temps, « Le mouvement des colons remporte une victoire au parlement israélien », Le Temps, 21 mars 2023. ;  Rédaction de Peace Now, loc. cit., 22 mars 2023.

[58] Rédaction de l’ONG Peace Now, « The Knesset approves the first reading of a bill to revoke clauses from the 2005 Disengagement Law », Peace Now, 15 février 2023.

[59] ZONSTEIN Mairav, LEVY Daniel, loc. cit. ; OCHA,  « Palestinian fatalities » & « Palestinian injurises » , Data on casualties, consulté le 25 avril 2023.

Crédit photo : Olivier Blaise – Wikimedia Commons – https://www.flickr.com/photos/43405897@N04/4401887379/