Alors que des manifestations convoquées les 19 et 20 septembre par l’opposition congolaise ont dégénéré en affrontements entre la police et les manifestants dans plusieurs villes du pays, et se sont soldées par la mort de plusieurs dizaines de personnes, un état des lieux de la dynamique de l’opposition congolaise semble indispensable. Ces manifestations entendaient dénoncer la non-convocation du corps électoral à l’échéance constitutionnelle du 19 septembre. Le moment est particulièrement critique pour la RDC, alors que le report des élections se précise et que le maintien en poste du président Kabila au-delà de la fin officielle de son mandat le 19 décembre a été autorisé par la cour constitutionnelle[1].

Le 1er septembre 2016 s’ouvrait enfin le dialogue national destiné à trouver un consensus pour l’organisation des élections (locales, présidentielles, législatives) à venir. Au moment de la convocation officielle du dialogue par le président Joseph Kabila, début 2016, seul l’UDPS, le parti de l’opposant historique Étienne Tshisekedi, était prêt à s’entretenir avec le pouvoir. Le «G7», un groupe de sept partis auparavant membres de la majorité présidentielle et Moïse Katumbi,le très médiatique ex-gouverneur du Katanga, ainsi que la «Dynamique de l’opposition» constituée entre autres de l’UNC de Vital Kamerhe et du MLC dirigé par Eve Bazaïba, se refusaient quant à eux à dialoguer avec la majorité.

Après plusieurs mois de tergiversations, le dialogue a finalement été rejeté par l’UDPS, désormais allié au G7 et à Katumbi au sein du «Rassemblement» fondé le 9 juin à Genval en Belgique. De son côté, Vital Kamerhe, qui dénonçait il y a encore quelques mois un «piège»[2] tendu par Kabila, s’est joint aux travaux conduits par le facilitateur de l’Union africaine Edem Kodjo, avant d’être nommé co-modérateur des discussions entre opposition, majorité et société civile.

Crédit Photo: En fin de matinée des milliers de Kinois ont convergé vers l’aéroport de Ndjili pour accueillir le «Lider maximo» © DR – Afrikarabia

Un retour de Tshisekedi, qui rebat les cartes

Après environ deux ans d’absence, Étienne Tshisekedi a progressivement fait son retour. Il se signale tout d’abord par sa présence lors du conclave organisé au château de Genval en Belgique les 8 et 9 juin pour rassembler l’opposition et la société civile en vue de développer une stratégie commune pour contrer le «glissement», c’est-à-dire le report des élections présidentielles.
La rencontre de Genval s’est soldée par un accord entre la plupart des formations présentes[3] sur une position commune demandant notamment le respect de la Constitution et de la Résolution 2277 des Nations unies, et officialisant la création d’un «Rassemblement des forces politiques et sociales de la RDC acquises au changement».

Si Martin Fayulu, président de l’ECiDé (Engagement pour la citoyenneté et le développement) et membre de la dynamique de l’opposition, affirme que «aucun chef de file de l’opposition n’a été officiellement désigné» lors de cette rencontre, la réunion de Genval a néanmoins amorcé le retour de Tshisekedi en tant que premier représentant de l’opposition. Il est d’ailleurs nommé président du conseil des sages dans lequel sont représentés tous les partis ayant signé l’accord. Ce statut retrouvé pour celui qui se considère comme le véritable vainqueur des dernières élections présidentielles, se confirme lors de son retour au pays en juillet, où une foule immense[4] l’escorte jusqu’à sa résidence puis assiste à un meeting organisé quelques jours plus tard. Le «sphinx de Limete» a également profité de son retour pour reprendre en main son parti, où les déclarations contradictoires et les luttes internes étaient courantes en l’absence du chef. Bruno Mavungu, secrétaire général de l’UDPS en fera les frais et sera écarté de l’UDPS[5], avant de créer l’Union des démocrates pour la renaissance du Congo (UDRC). Mais cette reprise en main ne masque pas les fragilités du sphinx, entre un état de santé toujours fragile à 83 ans et un manque de vision stratégique, selon ses détracteurs.

La réunion de Genval a également consacré le rapprochement entre Étienne Tshisekedi et l’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi. Malgré son absence, il était bien représenté par ses proches au sein du G7 et de l’Alternance pour la République, l’AR, présidée par son frère Raphael Katebe Katoto. Ce dernier, également proche de Tshisekedi, a par ailleurs financé l’organisation de la rencontre dans le château belge, que Moïse Katumbi connait bien pour s’y être marié[6].

L’entente entre les deux leaders de l’opposition entamée depuis plusieurs mois est d’autant plus nécessaire aujourd’hui que Moïse Katumbi semble avoir été mis sur la touche par le pouvoir de Kabila. Après avoir été inquiété pour une affaire de recrutement de mercenaires, Katumbi a été condamné le 22 juin à trois ans de prison pour une affaire de spoliation de biens. Ces accusations se sont cependant fragilisées lorsque la juge en charge de l’affaire a plus tard révélé avoir fait l’objet de pressions[7]. Moïse Katumbi s’est depuis exilé, notamment en Europe, après avoir été autorisé à quitter la RDC pour soigner ce qu’il affirme être une tentative d’empoisonnement, et son retour en RDC semble plus qu’hypothétique. S’il a récemment annoncé rentrer bientôt, sans préciser de date, les autorités congolaises apparaissent déterminées[8] à faire exécuter la sentence du tribunal de Lubumbashi dès qu’il aura le pied sur le sol congolais.

Une «Dynamique de l’opposition» divisée

Lors de la réunion de Genval, les têtes d’affiche de la «Dynamique de l’opposition» Vital Kamerhe et Eve Bazaiba ne se sont pas déplacés. Face à la prépondérance de Tshisekedi et l’ombre de Katumbi qui plane sur Genval, les deux leaders de la «Dynamique» entendent maintenir leur autonomie.

Cependant les positions ne sont pas unanimes au sein de la plateforme qui rassemble également l’ECiDé de Martin Fayulu, les Fonus de Joseph Olenghankoy, l’Envol de Delly Sesanga, l’ATD de José Makila et le CDER de Jean-Lucien Bussa. Rapidement une distinction se fait jour entre les «pro-Genval» comme Fayulu, Sesanga et Olenghankoy, et les «anti» comme Kamerhe, Bezaïba et Bussa. Bientôt c’est le dialogue qui donne lieu à une véritable rupture. Perçue comme une trahison, la participation de Kamerhe, Bussa, Makila ainsi que plusieurs membres du MLC à ce dialogue  est sanctionnée de l’exclusion de ces membres.

Il existe par ailleurs un conflit latent de leadership entre Moïse Katumbi et Vital Kamerhe. Ce dernier, qui s’était affiché à de nombreuses reprises au côté de Katumbi après son départ du PPRD, à tel point que l’on évoqua même la possibilité d’un ticket commun pour l’élection présidentielle, n’a vraisemblablement pas apprécié la déclaration, début mai, de candidature de ce dernier à la présidence[9]. En participant au dialogue, le président de l’UNC vise sans doute à se ménager une place dans un éventuel gouvernement de transition[10], au moment où l’opposition éprouve des difficultés à se prononcer sur une candidature unique, en faveur de Katumbi, toujours bloqué à l’étranger, où du leader de l’UDPS[11]. Le 12 septembre, Vital Kamerhe et la délégation de l’opposition partie au dialogue, avaient suspendu leur participation, réaffirmant ainsi leur volonté de donner la priorité à l’organisation de l’élection présidentielle contre une majorité préférant que les locales aient lieu en premier. Un consensus a toutefois été dégagé, le 14 septembre, pour la tenue conjointe de la présidentielle, des législatives nationales et provinciales le même jour.

Une contestation qui se précise

La seule certitude aux premiers jours du dialogue était celle du report des élections, désormais confirmé, et celle d’une réaction inévitable de la part de l’opposition hors dialogue. Rejoignant la position du « Front citoyen 2016 »[12], le rassemblement avait ainsi posé un double ultimatum pour le 19 septembre, date de la convocation du corps électoral, puis pour le 19 décembre, date de la fin du mandat de Joseph Kabila. Le déploiement de forces de l’ordre, dans bien des villes du pays, semblait limiter les possibilités de mobilisation. Au Katanga, ancien bastion des Kabila, père et fils, qui fait aujourd’hui figure de fief de l’opposition à Joseph Kabila[13], la pression du pouvoir est très forte ; chaque manifestation y prend le risque de s’opposer à un important dispositif sécuritaire[14]. La marge de manœuvre de l’opposition reste par conséquent plus large à Kinshasa, où le meeting du 31 juillet dernier de l’UDPS s’est déroulé dans de bonnes conditions, et les interdictions de manifester ont été plus rares qu’au Katanga. Mais, les violences survenues le 19 septembre préalablement à la manifestation du «Rassemblement» pour contester la non-convocation du corps électoral, ont probablement marqué un tournant. Durant la matinée, plusieurs dizaines de manifestants de l’opposition s’en sont pris au siège du PPRD à Limete, tandis que d’autres ont été dispersés au gaz lacrymogène par la police alors qu’ils se dirigeaient vers le palais du peuple, selon des sources locales. Les affrontements entre policiers et manifestants auraient fait deux morts du côté de la police selon les autorités, tandis que l’opposition déplore la mort de plusieurs dizaines de civils après des tirs à balles réelles. La manifestation a finalement été annulée par les autorités, qui ont procédé par ailleurs à une série d’arrestations d’opposants, dont Martin Fayulu[15]. Dans la nuit du 19 au 20 septembre, les sièges de plusieurs partis d’opposition, dont celui de l’UDPS, été ont incendiés. Outre les condamnations unanimes par des partenaires internationaux, ces flambées de violences ont motivé la suspension de la participation de la Commission épiscopale nationale du Congo (CENCO) au processus du dialogue. La CENCO conditionne la reprise des travaux à la signature d’un accord politique à convenir qui prendrait en compte quatre exigences de base :

L’assurance que l’actuel président de la République ne sera pas candidat à la prochaine élection présidentielle ; la mention des dates des élections, ainsi que d’un plan de décaissement de fonds destiné à leur organisation ; la mise en place d’un comité de mise en œuvre de cet accord ainsi que son planning de travail.

Même si les réelles capacités de l’opposition restent toujours en question, la situation pourrait rapidement devenir encore plus explosive après ces manifestations et a fortiori si le mandat de Kabila se prolonge au-delà du 19 décembre 2016.

L’auteur

Pierre Collet, titulaire d’un master en sécurité internationale et défense, stagiaire au GRIP sous la direction de Claire Kupper, chef de projet Conflits, sécurité et gouvernance en Afrique

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pdf De Genval au dialogue: dynamiques et crispations au sein de l’opposition en RDC


[3]. L’UDPS, l’AR, le G7, l’Écidé, les FONUS, font officiellement parti du rassemblement.

[5]. Christophe Rigaud, « Tshisekedi remet de l’ordre à l’UDPS », Afrikarabia, 11 août 2016.

[8]. Carole Kouassi, « Katumbi sera mis en prison s’il rentre en RDC – ministre de la Justice », Africa News, 25 juillet 2016.

[10]. Christophe Rigaud, « Le dialogue sur la piste d’un gouvernement de transition », Afrikarabia, 11 septembre 2016.

[12]. Le Front citoyen 2016 créé en décembre 2015 rassemblait le G7, Moise Katumbi, la Dynamique de l’opposition ainsi que des organisations de la société civile comme Filimbi, dont le coordonnateur Floribert Anzuluni est celui du Front. Félix Tshisekedi, fils du leader de l’UDPS, avait également signé la déclaration du Front sans toutefois que le parti ne s’estime engagé. Seule la société civile semble encore animer cette plateforme.

[13]. Hans Hoebekke, « Katanga: Tensions in DRC’s Mineral Heartland », ICG, 3 août 2016.

[14]. Jean-Jacques Wondo, « Le Katanga en état de guerre ? », DESC-Wondo, 14 mars 2016.

[15]. La journaliste de RFI Sonia Rolley et un de ses collègues de TV5 ont également été arrêtés. « Deux policiers tués à Kinshasa, la manifestation de l’opposition annulée », Jeune Afrique, 19 septembre 2016.