Photo : montage avec portraits issus de Wikimedia Commons

La campagne électorale américaine pour la présidence a mis face à face deux candidats qui se sont opposés sur presque tout. Dans leur style de communication mais aussi sur le fond. Y compris dans le domaine de la politique étrangère. Pour comprendre la politique extérieure menée par Donald Trump, il est utile d’examiner celle de son prédécesseur, Barack Obama.

Les années Obama

Moins de neuf mois après son arrivée à la Maison-Blanche, le président Obama s’est vu attribuer le prix Nobel de la paix, le 9 octobre 2009, « pour ses efforts extraordinaires en faveur du renforcement de la diplomatie et de la coopération internationale entre les peuples » avait annoncé le jury du prix à Oslo[1]. Cette annonce a étonné plus d’un observateur pour la rapidité avec laquelle le président américain a ainsi été qualifié pour l’obtention de ce prix prestigieux. Il est vrai qu’il avait prononcé plusieurs discours prometteurs permettant de croire à une nouvelle ère des relations internationales avec le renforcement du multilatéralisme.

Malheureusement, huit ans après, lors de son départ de la Maison-Blanche début 2017, il fallut constater un bilan mitigé.

Irak et État islamique

Héritant des deux guerres d’Afghanistan et d’Irak commencées par George W. Bush respectivement en 2001 et 2003, Obama a régulièrement déclaré qu’il voulait y mettre un terme définitif. Au début de son mandat en 2009, il y avait 140 000 soldats américains en Irak. Leur nombre diminua à 50 000 en septembre 2010. Obama déclara la fin de la guerre et de la présence des troupes américaines sur le sol irakien en décembre 2011. Seuls quelques contingents restèrent sur place pour l’entraînement des forces irakiennes et la protection des derniers Américains présents à Bagdad.

Certains lui reprochèrent d’avoir abandonné l’Irak, puisqu’après le départ des troupes américaines, des troubles entre factions rivales éclatèrent créant une situation de guerre civile. Des groupes djihadistes en profitèrent alors pour constituer l’État islamique.

En 2014, Obama dut ainsi se résoudre à renvoyer en Irak un nombre limité de troupes au sol. L’action principale fut la réalisation de frappes aériennes contre l’État islamique en Irak et en Syrie de 2014 à 2017, dans le cadre des opérations menées par une coalition internationale rassemblant une quarantaine de pays occidentaux et arabes, dirigée par les États-Unis.

Afghanistan

La guerre en Afghanistan contre les Talibans, commencée par George W. Bush juste après le 11 septembre 2001, a continué à s’enliser pendant les huit années de la présidence d’Obama. Au début de son mandat, 70 000 militaires américains étaient présents sur le sol afghan. Après plusieurs renforts, leur nombre monta jusqu’à 100 000 soldats pendant les années 2011 et 2012, pour redescendre à 60 000 en 2013, puis 32 000 en 2014.

Dès 2010, plusieurs responsables américains considéraient qu’une solution militaire n’était plus possible face à la guérilla talibane. C’est à cette époque que des tentatives de négociation commencèrent avec les Talibans, sans aboutir, ces derniers refusant de dialoguer. Fin 2014, Obama annonça de nouveaux retraits afin de réduire les forces américaines à 9 800 militaires à partir de 2015. À la fin de son mandat, Obama ne put que constater qu’il n’avait pas pu mettre fin au conflit avec les Talibans en Afghanistan. De plus, malgré ses promesses électorales de 2008, il n’a jamais pu fermer la prison de Guantanamo, freiné notamment par une opposition majoritaire républicaine au sein du Congrès à partir de 2011.

Israël et Palestine

Au cours de ses deux mandats, les États-Unis ont très peu investi dans la recherche d’une solution de paix entre Israéliens et Palestiniens, malgré le soutien d’Obama à la création d’un État palestinien.

Syrie et Libye

Pour la Syrie, Obama a été critiqué après sa mise en garde adressée à Bachar el Assad : l’utilisation d’armes chimiques serait une « ligne rouge » à ne pas franchir. Or le dirigeant syrien a utilisé des armes chimiques, mais Obama n’a pas voulu intervenir militairement en Syrie en 2013[2]. Une des raisons de cette retenue a été le constat des conséquences catastrophiques de l’intervention occidentale en Libye en 2011, à laquelle ont participé les États-Unis, mais qui avait été initiée par le président Sarkozy, dont les motivations réelles restent peu claires à ce jour.

Cette intervention a entraîné une guerre civile en Libye, l’augmentation de l’afflux de réfugiés en Europe, ainsi que le pillage des arsenaux d’armes légères qui ont ensuite proliféré dans plusieurs régions en Afrique, alimentant notamment des groupes djihadistes dans la mouvance d’Al Qaïda et de l’État islamique[3].

L’accord sur le nucléaire iranien

En 2015, la position d’ouverture de Barack Obama a permis la conclusion de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien, dans le cadre d’une négociation avec l’Iran menée par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies ainsi que l’Allemagne et l’Union européenne[4]. L’objectif poursuivi était double : l’arrêt du programme militaire iranien afin d’améliorer la sécurité internationale, et en finir avec l’isolement de l’Iran et avec les embargos internationaux asphyxiant son économie.

Depuis 1979, avec la chute du Shah et l’arrivée de Khomeiny au pouvoir, les relations entre l’Iran et les États-Unis ne s’étaient jamais normalisées. Cet accord rapprochant Téhéran et Washington a été un réel pas de géant dans la perspective d’un apaisement au sein du Moyen-Orient, région stratégique particulièrement instable[5][6].

Réchauffement avec Cuba

À la suite d’une médiation du pape François, les relations entre les États-Unis et Cuba se sont réchauffées[7]. Le 17 décembre 2014, les deux pays ont annoncé conjointement un rapprochement, entraînant un assouplissement de l’embargo américain sur Cuba décidé en 1962[8]. En juillet 2015, ils ont annoncé la reprise de leurs relations diplomatiques[9]. Et le 20 mars 2016, Barack Obama a concrétisé cette évolution historique en se rendant à La Havane pour une visite officielle.

Un frein aux dépenses militaires

Il faut relever que, contrairement à plusieurs de ses prédécesseurs, dont Georges W. Bush, le président Obama a pu résister aux pressions de plusieurs lobbies (industries d’armement, néo-conservateurs, groupes pro-israéliens, …) en s’efforçant de maintenir une ligne politique peu interventionniste au plan militaire, et privilégiant la diplomatie et la résolution pacifique des conflits[10].

Concrètement, au cours de ses huit années de mandat, les dépenses militaires américaines ont diminué de 20 %. Plusieurs programmes militaires décidés par des gouvernements antérieurs ont été arrêtés, notamment sur le développement et l’acquisition de nouveaux armements.

Les accords de Paris sur le climat

Il faut surtout mettre au crédit d’Obama, sa volonté permanente de recherche de consensus dans le cadre des institutions multilatérales. À côté de l’accord sur le nucléaire iranien, l’autre grande réussite d’Obama est l’adhésion des États-Unis en 2015 aux accords de Paris sur la lutte contre le réchauffement climatique, qui est un revirement majeur de l’attitude américaine. Obama a joué un rôle actif en parvenant à convaincre les dirigeants chinois d’accepter eux-aussi ces accords climatiques.

Cette avancée conjointe des États-Unis et de la Chine a été saluée par beaucoup comme une avancée déterminante face à l’un des problèmes majeurs pour la survie de l’humanité[11].

Un président prudent, pragmatique et réaliste

Le bilan de l’ère Obama est certes mitigé. Certains ont estimé qu’il avait réussi en politique intérieure, notamment avec l’Obamacare et le sauvetage de l’économie américaine (dont l’industrie automobile), mais qu’il a échoué en politique extérieure[12]. Ce jugement négatif devrait être nuancé. Il est vrai que l’espoir était grand après les discours flamboyants, novateurs et progressistes du candidat Obama et sa formule « Yes We Can ». Il faut relever qu’il aura néanmoins très clairement tourné le dos à la position de type « unilatéraliste et militariste » de son prédécesseur, George W. Bush, obsédé dans sa lutte contre le terrorisme, croyant pouvoir utiliser les moyens militaires d’une superpuissance qui s’est finalement révélée fort impuissante.

Par ailleurs, comme Obama l’a indiqué à plusieurs reprises, un président des États-Unis n’a pas tous les pouvoirs, ce qui le force à être réaliste et pragmatique. L’action du président démocrate a souvent été bridée par l’opposition républicaine, qui avait retrouvé une majorité à la Chambre des représentants après les deux premières années de son arrivée à la Maison-Blanche et tout au long des six années suivantes.

Donald Trump : impulsif, brutal mais pas militariste

La politique extérieure des États-Unis sous la présidence de Donald Trump a été à l’image de son slogan de campagne en 2016, « America First », teintée d’unilatéralisme et de populisme. Lors de sa campagne électorale en 2016, le programme du candidat républicain pour la politique extérieure des États-Unis était fort peu développé. La principale ligne de force présente dans quelques-uns de ses discours était, comme en politique intérieure, la volonté de détruire les acquis de la politique menée par Barack Obama.

Par la suite, au cours de ses quatre années de mandat, il s’est effectivement démarqué de plusieurs décisions de son prédécesseur. Mais il aura été freiné par deux réalités. D’une part, le rôle important et historiquement durable d’une certaine conception du rôle des États-Unis dans le monde, mélange de puissance et de bienveillance, que partagent la plupart des acteurs institutionnels américains et leur entourage (diplomates, militaires, think tanks…).

D’autre part, comme la plupart de ses prédécesseurs l’ont appris, surtout depuis George Bush et le 11 septembre 2001, ainsi que la montée en puissance de plusieurs États au plan économique (Chine, pays émergents), les États-Unis, malgré leur héritage de superpuissance militaire, sont de plus en plus impuissants à dicter leur loi dans le monde.

Si Donald Trump a régulièrement émis des avis tranchés, parfois brutaux et souvent peu rationnels, face à ses interlocuteurs sur la scène internationale, il faut reconnaître qu’il n’a pas mené une politique militariste, contrairement à George W. Bush qui, après le 11 septembre 2001, lança la lutte contre le terrorisme en embarquant les États-Unis dans les guerres d’Afghanistan et d’Irak, qui entraînèrent des conséquences encore extrêmement néfastes à ce jour.

Tout comme Obama, il a préféré, de facto, la diplomatie. Mais à la différence de son prédécesseur, qui recherchait le consensus avec ses interlocuteurs dans un cadre multilatéral, Trump a utilisé les contacts bilatéraux pour créer des rapports de force de façon unilatérale. D’où son admiration pour le leadership souvent carré et musclé de Vladimir Poutine.

Irak et État islamique

La position de Trump sur l’Irak n’est pas fondamentalement différente de celle d’Obama. Trump a déclaré à plusieurs reprises dès 2016 que « la guerre d’Irak a été la pire erreur de politique étrangère de l’histoire américaine ».

Le 19 décembre 2018, Trump annonce le retrait des troupes américaines dans l’Est de la Syrie en estimant que l’État islamique est désormais « vaincu », ce qui rendrait inutile la présence de soldats américains[13]. La conséquence en a été l’abandon du soutien aux forces locales, principalement kurdes, qui avaient été déterminantes dans la lutte contre l’État islamique. Au lendemain de cette décision, le secrétaire américain à la Défense, James Mattis, présenta sa démission pour marquer son opposition à ce qu’il estimait être une grave erreur.

Par la suite, Trump modéra sa position en autorisant finalement le maintien de quelques troupes américaines sur le terrain aux côtés de forces kurdes. Mais cette présence minimale des soldats américains permit le déploiement de forces turques dans le nord de la Syrie, à la suite d’un accord avec la Russie, aboutissant au refoulement des forces kurdes qui avaient durement conquis ces territoires.

Afghanistan

Il y avait 8 400 militaires américains en Afghanistan au début du mandat de Donald Trump en 2017. En août, il annonça une augmentation de 3 900 soldats supplémentaires.

Voyant l’enlisement face aux attentats des Talibans, l’administration Trump constata que cette guerre ne pourrait jamais être gagnée, d’où des discussions avec le gouvernement afghan et les Talibans pour mettre un terme au conflit. Le 29 février 2020, un accord entre les Américains et les Talibans a été signé à Doha, prévoyant le départ définitif des forces américaines pour le printemps 2021[14].

En août 2020, il restait 8 600 soldats américains et le 7 octobre, Donald Trump a annoncé vouloir retirer avant la Noël 2020 la totalité des derniers soldats.

Mais, parallèlement à ces retraits, les négociations entre le gouvernement afghan et les Talibans piétinaient à Doha tout au long de l’année 2020. Si le président Trump a pu se targuer de mettre fin à la présence militaire américaine sur le sol afghan, il faut bien constater qu’après dix-neuf ans de guerre, les Talibans sont toujours présents et devraient même participer au pouvoir après le départ des Américains, suscitant beaucoup d’inquiétudes au sein de la population sur le type de société qui sera mis en place avec leur retour.

Israël et Palestine

Le 6 décembre 2017, Donald Trump a annoncé que les États-Unis reconnaissaient officiellement Jérusalem comme capitale d’Israël ; l’ambassade fut transférée de Tel Aviv le 14 mai 2018. Ce transfert, nouvel acte unilatéral des États-Unis, fut critiqué par de nombreux pays dans le monde comme étant un geste contre-productif par rapport aux efforts réalisés jusqu’alors au plan multilatéral, en favorisant Israël et en dénigrant entièrement les demandes de reconnaissance des Palestiniens[15].

Le 28 janvier 2020, le président Trump a présenté à la Maison-Blanche, en présence du Premier ministre israélien Netanyahou mais sans les Palestiniens qui n’avaient pas été invités, son plan de paix « pour régler le conflit israélo-palestinien »[16]. Conçu par son gendre Jared Kushner, ce plan vise à créer un État palestinien à Gaza et en Cisjordanie, avec des territoires morcelés sans continuité géographique. Ce plan a été applaudi par les Israéliens et rejeté par les Palestiniens, et critiqué également par la plupart des acteurs de la communauté internationale, estimant qu’il était en régression par rapport à toutes les négociations menées jusqu’à présent. Les pays arabes, alliés des États-Unis, comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et Oman, ont pour leur part salué les efforts de Donald Trump en faveur de la création de l’État palestinien.

La sortie de l’accord sur le nucléaire iranien

Le 8 mai 2018, Trump annonça le retrait des États-Unis de l’accord de Vienne de 2015 sur le nucléaire iranien, ce qui fut salué par Israël et l’Arabie saoudite, mais condamné par tous les autres signataires de cet accord[17] [18].

Le 3 janvier 2020, Trump autorisa une attaque militaire en Irak aboutissant à la mort du général iranien Qassem Soleimani, le commandant des Gardiens de la révolution islamique. Cette action provoqua la fureur des autorités irakiennes et iraniennes[19]. Le Parlement irakien vota une résolution en faveur du retrait de toutes les forces étrangères, y compris américaines, du territoire irakien.

Ces positions hostiles de Trump furent critiquées par ceux qui considéraient, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Iran, qu’elles avaient pour principales conséquences le renforcement des conservateurs religieux et l’affaiblissement des progressistes.

Retrait d’accords sur le contrôle des armements

Prétextant que la Russie ne respectait pas le Traité sur les forces nucléaires intermédiaires (INF), Donald Trump en confirma le 1er février 2019 le retrait des États-Unis, prenant effet six mois plus tard[20]. Cet accord historique avait été signé à Washington en 1987 par Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev, mettant ainsi fin à la « crise des euromissiles »[21]. La Russie annonça également qu’elle mettait fin à cet accord.

Utilisant le même argument de non-respect par les Russes, Donald Trump annonça le 21 mai 2020 le retrait des États-Unis, prenant effet six mois plus tard, du Traité « Ciel ouvert », signé à Helsinki en 1992 par 35 États, dont tous les pays de l’OTAN[22]. Il s’agit d’un traité destiné à améliorer la transparence sur les moyens et la mobilité des armements, dans le cadre de mesures de confiance pour éviter les conflits armés, en permettant le survol des territoires concernés par tous les pays signataires. Le lendemain, le 22 mai 2020, neuf pays européens, dont la Belgique, la France, l’Italie et l’Espagne, signèrent une déclaration conjointe regrettant la décision américaine et indiquant qu’ils continueraient à appliquer le Traité « Ciel ouvert »[23].

Avec l’accord sur le nucléaire iranien, ce sont donc trois traités multilatéraux sur le contrôle des armements que Donald Trump a dénoncés unilatéralement au nom des États-Unis, sans avoir été capable de faire adopter des alternatives à ces traités.

Il faut également signaler que les États-Unis ont freiné en 2019 et 2020 les négociations avec les Russes sur la prolongation du traité New START sur la réduction des armements nucléaires stratégiques venant à échéance le 5 février 2021. Ce traité avait été signé en 2010 par Barack Obama et Dmitri Medvedev.

Corée du Nord

Les relations entre les États-Unis et la Corée du Nord ont connu sous Donald Trump une évolution inattendue mais fort curieuse. Le 19 septembre 2017, lors d’un discours à la tribune de l’ONU, Donald Trump s’est dit prêt à « détruire totalement la Corée du Nord »[24][25]. Mais, après s’être injuriés publiquement en 2017, Donald Trump et Kim Jong-un ont entamé un rapprochement avec une rencontre historique le 12 juin 2018 à Singapour. Les deux dirigeants y ont signé une déclaration commune dans laquelle les deux pays s’engagèrent à de nouvelles relations pacifiques. Un espoir semblait naître : la Corée du Nord sembla accepter de ne plus réaliser d’essais nucléaires et de mettre un frein au développement de son programme nucléaire militaire.

Les deux chefs d’État se retrouvèrent le 30 juin 2019 à la frontière entre la Corée du Nord et la Corée du Sud dans la zone démilitarisée de Panmunjeom, où Donald Trump franchit symboliquement la ligne de la frontière entre les deux pays. Ils eurent une troisième rencontre en 2019 à Hanoï au Vietnam, qui fut considérée comme un échec, aucun accord n’ayant pu être obtenu.

Le 1er janvier 2020, Kim Jong-un a déclaré qu’il ne se sentait plus lié à l’accord de Singapour, exprimant son mécontentement face à la poursuite des sanctions américaines contre son pays et la tenue d’exercices militaires conjoints des États-Unis avec la Corée du Sud[26]. Donald Trump minimisa par la suite la portée des propos de Kim Jong-un, se disant persuadé que ce dernier respecterait l’accord de Singapour.

Plusieurs observateurs s’étonnèrent de la position de Donald Trump, qui voulait manifestement se présenter à quelques mois des élections présidentielles comme celui qui avait réussi à entraîner la Corée du Nord vers sa dénucléarisation, ce qu’aucun autre président américain n’avait pu réaliser auparavant. Mais à la fin de son mandat, Trump n’a pas pu démontrer que Kim Jong-un s’engageait réellement dans cette voie. Au contraire, le 10 octobre 2020, lors d’un défilé militaire, à l’occasion du 75e anniversaire du Parti des travailleurs au pouvoir à Pyongyang, un nouveau missile intercontinental géant fut présenté comme étant le plus grand au monde.

Cuba

Le 16 juin 2017, Donald Trump annonça vouloir mettre fin à l’accord avec Cuba conclu par Barack Obama en 2014, s’attirant les critiques des milieux d’affaires américains, désireux de participer à la relance de l’économie cubaine. Trump n’a cependant pas remis en cause les nouvelles relations diplomatiques de cet accord. Par la suite, il a décidé de plusieurs mesures de rétorsion économique, notamment en voulant limiter certains accès à l’île aux touristes américains.

Dépenses militaires

Bien que Trump ait régulièrement déclaré son aversion pour les interventions militaires des États-Unis, il a augmenté chaque année les dépenses militaires pour atteindre une croissance de 10 % en quatre ans. Il a accru le potentiel militaire en hommes et en matériel, mais uniquement à des fins de dissuasion. Dès son élection, les actions des entreprises d’armement ont sensiblement augmenté[27].

Accord de Paris et Covid 19

Le 1er juin 2017, Donald Trump a annoncé le retrait des États-Unis des accords de Paris sur le climat de 2015. Mais cette position est davantage symbolique puisque le retrait réel n’a pas été possible avant les élections présidentielles du 3 novembre 2020. Ce retrait a été fortement critiqué dans le monde et aux États-Unis[28], y compris par des responsables du Parti républicain et par de nombreux dirigeants du monde économique.

La gestion de la pandémie de Covid-19 a été catastrophique. Parallèlement à son climato-scepticisme, il a multiplié les déclarations affirmant ne pas croire aux réalités scientifiques et médicales, au grand désespoir des responsables de la santé de sa propre administration.

Au moment des élections présidentielles du 3 novembre, il y avait eu aux États-Unis 235 000 décès dus au coronavirus en neuf mois, soit trois fois plus de morts qu’au cours de la guerre du Vietnam (68 000 morts) et deux fois plus qu’au cours de la guerre 14-18 (116 500 morts).

Injures aux anciens combattants

En septembre 2020, la revue « The Atlantic »[29], a révélé qu’en novembre 2018, lors d’une visite en France, Donald Trump n’aurait pas voulu se déplacer au cimetière militaire américain du Bois Belleau où sont enterrés 1 800 Marines, qu’il a qualifiés de « losers » en ajoutant : « Je ne comprends pas pourquoi les Américains devaient intervenir aux côtés des Alliés », remettant ainsi en cause l’engagement des États-Unis en Europe pendant la Première Guerre mondiale.

Donald Trump a également dénigré le sénateur John Mc Cain, candidat républicain aux élections présidentielles de 2008 face à Obama, considéré comme un héros parmi les militaires américains après avoir été fait prisonnier pendant cinq ans au cours de la guerre du Vietnam. En 2015, Trump a déclaré que « John Mc Cain n’a pas été un héros de guerre », ajoutant « j’aime les gens qui n’ont pas été capturés ». Lors du décès de John Mc Cain en 2018, Donald Trump a déclaré : « On ne va tout de même pas aider à l’organisation de l’enterrement de ce loser »[30].

Un président inexpérimenté et peu rationnel

Ce qui a été souvent reproché à Donald Trump, c’est son impulsivité et sa méconnaissance des réalités internationales, d’autant plus qu’il ne lisait pas beaucoup les rapports de ses proches collaborateurs en qui il accordait peu de confiance. Ceux-ci étaient régulièrement limogés par un président susceptible et ayant en horreur la réflexion et la recherche de consensus au sein de sa propre administration[31]. Exemple significatif de cette instabilité chronique : au cours de ses quatre années de mandat, Donald Trump a eu six ministres de la Défense, soit un changement en moyenne tous les huit mois, alors qu’au cours des seize années des présidences de George W. Bush et de Barack Obama, il n’y a eu que cinq ministres de la Défense, soit un changement tous les trente-deux mois.

Cette conduite présidentielle versatile, impulsive et peu rationnelle s’explique notamment par l’inexpérience : avant son élection comme président, Donald Trump n’a jamais eu de mandat public électif et n’a jamais été associé à des activités internationales des États-Unis.

L’expérience de Joe Biden

À l’opposé de Donald Trump, Joe Biden jouit, lui, d’un curriculum vitae bien plus riche que Donald Trump en matière de politique étrangère.

Le candidat démocrate a été sénateur pendant trente-six ans, puis vice-président de Barack Obama pendant huit ans, ce qui représente un total de quarante-quatre ans de vie publique élective.

En tant que sénateur, il a été membre puis président du Comité des Affaires étrangères, ce qui lui a valu de nombreux voyages et missions dans plusieurs pays, et une réputation de fin connaisseur du contexte international et du rôle des États-Unis dans le monde.

Étant situé plutôt à l’aile droite du parti démocrate, il a eu certaines positions controversées. En 2002, il a voté l’autorisation de l’entrée en guerre en Irak. Mais il est devenu par la suite très critique sur la gestion de l’après-guerre, proposant un désengagement américain à partir de 2006, afin de dégager des moyens pour la reconstruction de l’Afghanistan.

En 2008, Barack Obama a désigné Joe Biden comme colistier pour occuper le poste de vice-président afin de se prémunir contre les critiques à l’égard de son jeune âge et de son manque d’expérience, notamment en politique étrangère.

Un retour attendu vers une politique extérieure dans la ligne de celle de Barack Obama

Avec son arrivée à la Maison-Blanche, il est vraisemblable qu’à l’instar de Donald Trump, qui avait constamment cherché à détruire l’héritage de son prédécesseur, Joe Biden sera contraint de faire la même chose concernant plusieurs décisions prises par Donald Trump. Le programme et les déclarations du candidat démocrate sont toutes dans la ligne de ce qu’Obama avait défendu et réalisé.

Tout le détricotage de l’action multilatérale des États-Unis dans le cadre des institutions internationales devrait être inversé. L’action collective notamment dans le cadre des Nations unies, de l’Organisation mondiale de la santé et de l’UNESCO, abandonnée par Donald Trump, devrait être à nouveau soutenue. L’OTAN, vilipendée régulièrement par Donald Trump, devrait retrouver son rôle historique de lien transatlantique avec les pays européens, si l’on en croit le profil pro-européen d’un grand nombre de collaborateurs proches de Joe Biden.

Dans trois dossiers, la rupture avec Donald Trump devrait être assez nette. Primo sur le climat : la sortie des accords de Paris sur la lutte contre le réchauffement climatique, voulue par Donald Trump, sera annulée « dès le premier jour » de son arrivée à la Maison-Blanche, selon ce qu’a déclaré Joe Biden. Et le 22 octobre 2020, au cours du dernier débat télévisé avec son adversaire, il a précisé à la surprise générale qu’il abandonnerait progressivement le soutien financier envers l’industrie pétrolière au profit des énergies renouvelables.

Secundo, dans la relation des États-Unis avec la Chine et la Russie, la position de la nouvelle administration Biden devrait connaître un virage important.

La guerre commerciale avec la Chine, entamée par Trump, devrait sans doute se poursuivre mais sous une forme moins agressive, en cédant la place à un dialogue plus constructif. En revanche, les relations avec la Russie pourraient se refroidir. Les relations amicales entre Donald Trump et Vladimir Poutine n’auront plus lieu d’être avec le nouveau président élu, notamment parce qu’un courant important chez les démocrates exige d’adopter une posture sans concession en matière de droits humains partout dans le monde.

Tertio, dans le domaine de la maîtrise des armements, le dialogue devrait reprendre avec l’Iran, après la sortie des États-Unis de l’accord multilatéral sur le nucléaire iranien, décidée par Donald Trump en 2018. La nouvelle administration devrait également entamer de nouvelles négociations avec la Russie après la décision de Donald Trump en 2019 de sortie du Traité sur les forces nucléaires intermédiaires de 1987, et après l’échec des pourparlers sur la prolongation du traité New START sur les armes nucléaires stratégiques qui expire en février 2021.

Un dossier moins clair concerne les relations avec Israël. Joe Biden a toujours défendu le projet de deux États, Israël et Palestine, contrairement au plan de paix de Donald Trump de janvier 2020. Néanmoins, durant la campagne, Biden a déclaré qu’il ne reviendrait pas sur la décision de Trump de déménager l’ambassade américaine à Jérusalem.

Bien que plusieurs incertitudes subsistent, il est certain qu’après la victoire de Joe Biden, la politique extérieure des États-Unis redeviendra plus rationnelle, plus compréhensible et, espérons-le, meilleure pour la sécurité dans le monde.

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L’auteur

Bernard Adam a été le directeur du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) de 1979 à 2010.

[1]. Le Monde, 9 octobre 2009.

[2]. « Obama en Syrie : la stratégie de l’évitement », Joseph Bahout, Esprit, 2016/11 (novembre).

[3]. « Libye : armes, embargo et diplomatie à l’ombre de la menace islamiste », Federico Santopinto, Note d’analyse du GRIP, 10 février 2016.

[4]. « Obama, combatif, défend l’accord sur le nucléaire iranien », Agence France Presse, 16 juillet 2015.

[5]. « L’accord iranien sur le nucléaire, une révolution géopolitique pour la région et pour le monde », Sébastien Boussois, Note d’analyse du GRIP, 27 juillet 2015.

[6]. « L’accord sur le nucléaire iranien : décryptage », Christophe Stiernon, Éclairage du GRIP, 21 octobre 2015.

[7]. « Le pape, au cœur du rapprochement entre Cuba et les États-Unis », Le Monde, 18 décembre 2014.

[8]. « À Cuba, vers la fin de l’embargo », Salim Lamrani, Le Monde Diplomatique, janvier 2015.

[9]. « Les États-Unis et Cuba rouvrent officiellement leurs ambassades », Le Monde, 20 juillet 2015.

[10]. « 2008-2016 : la politique étrangère de Barack Obama nous a permis d’éviter le pire », Roland Lombardi, Le Figaro, 17 janvier 2017.

[11]. « Obama ratifie l’accord de Paris : ‘’Nous avons décidé de sauver la planète’’ », Le Soir, 3 septembre 2016.

[12]. Interview de Nicole Bacharan, Le Monde, 20 janvier 2017.

[13]. « Pourquoi Trump quitte la Syrie », Baudouin Loos, Le Soir, 20 décembre 2018.

[14]. « Afghanistan : quelles perspectives pour l’accord de « paix » entre les États-Unis et les talibans », Jonathan Bannenberg, Éclairage du GRIP, 25 juin 2020.

[15]. « Trump reconnaît Jérusalem comme capitale d’Israël, une décision historique et unilatérale », Le Monde, 6 décembre 2017.

[16]. « « Deal du siècle » : Trump parle de paix, Netanyahou d’annexion », Libération, 28 janvier 2020.

[17]. « Menaces sur l’accord nucléaire iranien », Denis Jacqmin et Hélène Voisin », Note d’analyse du GRIP, 22 mars 2018.

[18]. « Donald Trump annonce le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien », Le Monde, 8 mai 2018.

[19]. « L’Iran émet un mandat d’arrêt contre Donald Trump après ma mort de Qassem Soleimani », The Huffington Post, 29 juin 2020.

[20]. « Fin du Traité INF, fin du désarmement », Denis Jacqmin, Éclairage du GRIP, 8 mars 2019.

[21]. « Il y a 40 ans débutait la crise des euromissiles », Bernard Adam, Éclairage du GRIP,
10 décembre 2019.

[22]. « « Ciel ouvert » : Trump enterre à nouveau un traité sur le contrôle des armes », Philippe Regnier, Le Soir, 22 mai 2020.

[23]. « La Belgique regrette la décision de Donald Trump : « Nous continuerons à mettre en œuvre le Traité Open Skies’ »», Agence Belga, 22 mai 2020.

[24]. « À l’ONU, Trump menace la Corée du Nord », Isabelle Hanne, Libération, 19 septembre 2017.

[25]. « Corée du Nord : le scénario du pire ? », Bruno Hellendorf et Thierry Kellner, Note d’analyse du GRIP, 14 novembre 2011.

[26]. « Pourquoi la Corée du Nord repasse aux menaces », Laurence Defranoux, Libération, 1er janvier 2020.

[27]. « Trump et Wall Street : anticipations positives pour le secteur de l’armement », Luc Mampaey, Éclairage du GRIP, 23 novembre 2016.

[28]. « Donald Trump sort de l’Accord de Paris : « Une décision désastreuse pour le futur de nos enfants » », Loïc Chauveau, Sciences et avenir, 5 novembre 2019.

[29]. The Atlantic, Washington, 3 septembre 2020.

[30]. « La guerre est déclarée entre Donald Trump et les militaires américains », Valérie Cantié, France Inter (Monde), 5 septembre 2020.

[31]. « Le « Trumpisme » en politique étrangère : vision et pratique », Martin Quencez, Politique étrangère, 2/2020.

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